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21/09/2022

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

François ECALLE

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La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est un impôt, classé parmi les « impôts sur la production » par les statisticiens, qui est assis sur la valeur ajoutée des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 0,5 M€. Son taux a été divisé par deux en 2021 et il est désormais de 0,75 % lorsque le chiffre d’affaires dépasse 50 M€. Le gouvernement actuel a d’abord annoncé sa suppression définitive en 2023, mais le ministre de l’Economie vient de faire savoir que cette suppression sera étalée sur les deux exercices 2023 et 2024.

La CVAE contribue à dégrader la compétitivité des entreprises mais il n’est pas sûr qu’elle soit l’impôt le plus préjudiciable à l’activité économique et que sa suppression soit prioritaire.

Elle est affectée aux collectivités locales, mais celles-ci n’en maîtrisent pas le taux et sa disparition ne réduira donc pas leur autonomie fiscale. La répartition entre elles de son produit dépend des effectifs et des immobilisations des établissements industriels et commerciaux situés sur le territoire de chacune d’elles. Pour que les collectivités locales restent incitées à accueillir des activités industrielles et commerciales, il faudrait que la nouvelle ressource remplaçant la CVAE, dotation budgétaire ou impôt d’Etat, soit répartie entre elles selon une clé de répartition semblable.

La stabilisation de la dette publique au niveau actuel à l’horizon de 2027, compte-tenu des baisses d’impôt annoncées (dont 8 Md€ pour la suppression de la CVAE), suppose la réalisation d’économies importantes et très difficiles dans le contexte politique et social français actuel. Il serait donc plus prudent d’annoncer que cet impôt ne sera supprimé qu’en 2027 et seulement si le Haut Conseil des finances publiques constate que les objectifs d’évolution des dépenses publiques fixés dans la loi de programmation pour 2022-2027 ont été respectés.

A) Les principales caractéristiques de la CVAE

1) L’assiette et le taux de l’impôt

Les entreprises et les travailleurs indépendants dont le chiffre d’affaires (CA) annuel dépasse 152 000 €, quel que soit leur statut juridique ou leur régime fiscal, sont obligées de déclarer leur valeur ajoutée et leurs effectifs salariés au titre de la CVAE. Toutefois, seules les entreprises ou personnes dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 000 € en sont redevables. Elle n’est pas due la première année de création d’une entreprise, sauf en cas de transmission d’activité.

Les personnes et entreprises exonérées de cotisation foncière des entreprises (CFE) sont exonérées de CVAE. De nombreuses activités sont exonérées de CFE par la loi (agriculteurs, chauffeurs de taxis, éditeurs de presse, aides à domicile, établissements d’enseignement etc.). En outre, les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale peuvent décider d’exonérer de CFE et de CVAE d’autres activités dont la liste est également fixée par la loi, de manière permanente ou temporaire.

La cotisation est égale au produit de la valeur ajoutée par un taux, fixé au niveau national par la loi, qui est progressif en fonction du chiffre d’affaires (CA). Il a été divisé par deux en 2021 dans le cadre de la baisse des impôts sur la production et il est désormais égal à 0,25 % pour un CA de 3,0 M€, à 0,7 % pour un CA de 10 M€ et à 0,75 % pour un CA de plus de 50 M€. La valeur ajoutée retenue est plafonnée à 80 ou 85 % du chiffre d’affaires. Une cotisation minimale est fixée à 125 €.

Les collectivités locales reçoivent le produit de la CVAE au taux de 0,75 % et l’Etat prend à sa charge, sous forme d’un dégrèvement automatique (le « dégrèvement barémique »), le coût budgétaire des taux plus faibles appliqués aux entreprises dont le CA est inférieur à 50 M€.

Le total de la CVAE et de la CFE constitue la contribution économique territoriale (CET), qui a remplacé la taxe professionnelle, et il est plafonné à 2,0 % de la valeur ajoutée (3,0 % avant la réforme de 2021).

Une taxe additionnelle est perçue au profit des chambres de commerce et d’industrie régionales. Elle est égale à 3,46 % de la CVAE. Le total de la CVAE et de sa taxe additionnelle donne enfin lieu au prélèvement par l’Etat de frais de gestion au taux de 1 %.

La cotisation sur la valeur ajoutée de l’année N donne lieu à deux acomptes de 50 % en juin et septembre N, puis à une déclaration avec versement du solde (ou restitution du trop payé) en mai N+1. Les acomptes et le solde sont versés par les entreprises à l’Etat qui les reverse aux collectivités locales avec un an de décalage.

La valeur ajoutée est comptabilisée et déclarée au niveau de l’entreprise. Lorsque celle-ci a des établissements situés dans plusieurs collectivités locales, le produit de la CVAE est réparti entre elles par l’Etat au prorata des effectifs salariés des établissements situés dans chacune d’elles, pour les deux tiers, et de la valeur locative des immobilisations des établissements situés dans chacune d’elles, pour un tiers.

2) Les recettes et leur affectation

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a rapporté 9,6 Md€ aux collectivités territoriales et à leurs groupements en 2021 (après 19,5 Md€ en 2020), ce qui représente 6,1 % de leurs recettes fiscales. Ces recettes ont été réparties entre les départements (40 %) et les communes et intercommunalités (60 %). La division par deux de la CVAE en 2021 correspond à la suppression de la part qui revenait auparavant aux régions. Du fait des dégrèvements pris en charge par l’Etat, les entreprises ont payé 7,5 Md€ en 2021 en comptabilité nationale selon l’Insee (après 15,0 Md€ en 2020).

B) Les effets économiques de la CVAE

La CVAE est classée par les comptables nationaux parmi les impôts sur la production. Ceux-ci font l’objet d’une fiche spécifique sur ce site.

Ces impôts sur la production sont, pour la plupart, des prélèvements sur les facteurs de production : le travail (versement transport, taxe sur les salaires…) et le capital (taxes foncières…). Ils majorent les coûts de production des entreprises et réduisent leur compétitivité, au détriment de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Plus précisément, les prélèvements sur les salaires accroissent le coût du travail et incitent à une substitution de capital au travail. Ils ont ainsi les mêmes effets que les cotisations sociales, surtout patronales. Les prélèvements sur le capital en accroissent le coût et limitent la substitution de capital au travail. Etant assise sur la valeur ajoutée, la CVAE a l’avantage de la neutralité au regard du choix des entreprises entre les combinaisons possibles de capital et de travail.

Les impôts sur la production ont en outre pour caractéristique, souvent mise en avant, de ne pas tenir compte des résultats des entreprises et donc de renforcer les difficultés de celles qui ne dégagent pas de profits. C’est toutefois une propriété commune à tous les prélèvements sur les entreprises à l’exception de l’impôt sur les bénéfices des sociétés qui présente d’autres inconvénients (concurrence fiscale internationale…). A cet égard, la CVAE est moins dommageable que les impôts sur la masse salariale ou sur les immobilisations puisqu’elle est assise sur la valeur ajoutée qui est un solde de gestion. Dégager une valeur ajoutée positive permet de rémunérer au moins en partie le travail et le capital et suppose d’avoir vendu une partie de sa production.

Le conseil d’analyse économique (CAE), dans une note de juin 2019, observe cependant que la CVAE constitue en partie une taxe sur le chiffre d’affaires puisque son taux en dépend. Or il relève que les taxes sur le chiffre d’affaires sont particulièrement dommageables car elles s’ajoutent en cascade à toutes les étapes des chaînes de valeur et défavorisent donc les circuits longs sans aucune raison. Elles agissent comme une combinaison de taxes sur les exportations et de subventions aux importations de biens intermédiaires, contribuant ainsi à dégrader le solde commercial. Le CAE recommande d’ailleurs dans cette note de supprimer en priorité la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui est une taxe sur le chiffre d’affaires des grandes sociétés et qui est aussi classée parmi les impôts sur la production.

Au total, la CVAE n’est sans doute pas l’impôt sur la production le plus défavorable à l’activité économique et le gouvernement aurait pu se contenter d’en modifier certains paramètres. Le CAE relève ainsi que la valeur ajoutée prise en compte est brute (l’amortissement du capital n’en est pas déduit) et que cela pénalise les entreprises les plus capitalistiques, ce qui pourrait aisément être corrigé.

Selon cette note du CAE, il apparaît que la CVAE pèse plus fortement, en pourcentage de la valeur ajoutée, sur les services publics industriels et commerciaux (eau, gaz, électricité…), l’industrie manufacturière, le secteur financier et les transports et moins fortement sur l’agriculture, la santé, l’enseignement et la construction. Retenir la valeur ajoutée nette modifierait sans doute cette distribution au profit de l’industrie et des entreprises de réseaux.

On peut enfin noter que la CVAE ne pèse pas sur les plus petites entreprises puisque celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 € en sont exonérées.

C) Les conséquences de sa suppression pour les collectivités locales

Afin de compenser la perte de leurs recettes de CVAE (9,5 Md€ en 2019), une fraction de la TVA est désormais affectée aux régions. En 2021, cette fraction a été répartie entre les régions de sorte que chacune reçoive un montant égal aux recettes tirées de la CVAE en 2020 (rétrocession par l’Etat de la CVAE payée par les entreprises en 2019). A compter de 2022, chaque région verra ses recettes de TVA augmenter comme le produit global de la TVA.

Les variations annuelles du produit de la CVAE sont assez erratiques et peu corrélées avec celles de la valeur ajoutée des entreprises pour des raisons mal identifiées et donc difficilement prévisibles. Elles résultent pour partie des fluctuations de la valeur ajoutée des banques et assurances, qui est difficile à mesurer (la pertinence du concept de valeur ajoutée est limitée s’agissant des activités financières). A cet égard, les régions bénéficient, avec la TVA, d’un impôt dont la croissance est plus stable et plus prévisible.

Le taux de la CVAE est fixé au niveau national et l’évolution de son produit global est indépendante des décisions des collectivités territoriales. Il en est de même de la fraction de la TVA affectée aux régions. Cette réforme ne contribue donc pas à réduire l’autonomie fiscale des collectivités locales.

La CVAE est répartie entre les collectivités où les entreprises ont des établissements en fonction des effectifs de ces établissements et de la valeur de leurs immobilisations. Les collectivités locales sont donc incitées à attirer de nouvelles entreprises sur leur territoire en leur proposant des conditions favorables à l’exercice de leur activité. Ce mode de répartition peut certes creuser les inégalités entre collectivités, les plus riches ayant les moyens d’attirer encore plus d’entreprises et de bénéficier ainsi de recettes plus importantes, mais cet inconvénient devrait être corrigé par les mécanismes de péréquation des ressources entre les collectivités locales.

La répartition de la TVA en 2021 a reproduit celle de la CVAE en 2020. Ensuite, cette répartition ne changera pas, chaque région voyant ses recettes augmenter comme la TVA au niveau national, et sera donc indépendante des efforts réalisés par les régions pour attirer des entreprises.

Il est toutefois préférable que la répartition d’un impôt local dont le taux est national dépende des efforts réalisés par les collectivités territoriales pour attirer ou garder les entreprises, en corrigeant partiellement les inégalités qui en résultent par une péréquation des ressources des collectivités.

Le gouvernement n’a pas encore annoncé comment serait compensé la suppression des parts communale et départementale de CVAE qui subsistent. Le choix est entre des dotations budgétaires et l’affectation d’un impôt d’Etat. Il faudrait que la clé de répartition de ces dotations ou de cette fraction d’impôt dépende des effectifs ou des équipements des établissements situés dans chaque collectivité locale pour maintenir une incitation à accueillir des activités industrielles et commerciales. Le lien entre les collectivités locales et les entreprises ne doit pas se limiter aux taxes foncières, dont l’assiette est souvent très éloignée de la valeur réelle de leurs immobilisations.

D) Les conséquences de sa suppression pour les finances publiques

La suppression définitive de la CVAE coûtera environ 8 Md€ par an aux administrations publiques à partir de 2024, mais la situation et les perspectives des finances publiques devraient conduire à reporter cette mesure, comme toute nouvelle baisse d’impôt, bien au-delà de 2024.

En effet, comme le montre la programmation des finances publiques présentée par le gouvernement en août dernier (le « programme de stabilité »), la dette publique pourrait seulement être stabilisée en 2027 à peu près à son niveau actuel en pourcentage du PIB en retenant des hypothèses macroéconomiques optimistes et en mettant en œuvre les seules baisses d’impôts annoncées pendant la campagne présidentielle (CVAE, redevance audiovisuelle et droits de succession). Encore faut-il que la croissance des dépenses publiques en euros constants soit inférieure à celle qui a été observée dans les années 2011 à 2019. Or cette période a été marquée par des mesures d’économies significatives telles que le recul de deux ans de l’âge de départ en retraite, le gel de la valeur du point de la fonction publique pendant dix ans ou encore une forte baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales qui les a conduites à réduire leurs dépenses. Le programme de stabilité prévoit également une réduction d’environ 12 Md€ du coût des niches fiscales ou sociales, ce qui serait un résultat inédit.

Dans le contexte politique et social actuel, après deux ans d’un « quoi qu’il en coûte » nécessaire mais laissant croire que l’endettement public est illimité, il est peu probable que des économies aussi importantes soient réalisées sur les dépenses budgétaires ou fiscales.

La suppression de la CVAE, en améliorant la compétitivité des entreprises, contribuera à soutenir la croissance, ce qui se traduira par des recettes fiscales et sociales supplémentaires mais celles-ci ne seront pas suffisantes pour compenser le coût de cette mesure. Il est illusoire de penser que les baisses d’impôt ou les hausses de dépenses s’autofinancent du fait de leur impact favorable sur l’activité économique. Cela n’arrive qu’exceptionnellement et on ne peut pas fonder une politique économique sur une telle hypothèse.

En conséquence, la dette publique augmentera alors que le resserrement de la politique monétaire (hausse des taux d’intérêt et fin des achats de titres publics par la BCE) la rend de moins en moins soutenable. Il faudra un jour ou l’autre en reprendre le contrôle et les impôts risquent alors d’augmenter, comme ce fut souvent le cas dans l’histoire des finances publiques françaises des 50 dernières années, y compris sur les entreprises pour des montants bien supérieurs au poids de la CVAE.

Il serait donc plus prudent d’annoncer que cet impôt sera supprimé en 2027 seulement si le Haut Conseil des finances publiques constate que les objectifs d’évolution des dépenses publiques fixés dans la loi de programmation pour 2022-2027 ont été respectés. Cette recommandation vaut également pour les baisses d’impôt prévues en faveur des ménages.

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