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17/04/2025

La TVA sociale : avantages et inconvénients

François ECALLE

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La « TVA sociale » revient fréquemment dans les débats publics depuis très longtemps et elle y a récemment été réintroduite par le président du MEDEF. Cette note fait le point sur ses avantages et inconvénients.

On désigne généralement par TVA sociale une fraction du produit de la TVA affectée au financement des dépenses de sécurité sociale en substitution de cotisations sociales patronales. Elle existe déjà puisque 57 Md€ de recettes de TVA sont affectées (en 2023) à la sécurité sociale, pour beaucoup en contrepartie d’allègements de cotisations patronales, sur un total de 205 Md€. Il s’agirait donc de poursuivre ce mouvement de substitution.

Le financement des branches maladie et famille par la TVA, à la place des cotisations patronales, serait cohérent avec la nature « beveridgienne » de leurs prestations : universelles pour l’assurance maladie et modulées selon les revenus pour les allocations familiales. Cette réforme contribuerait à clarifier le financement de la protection sociale.

Une telle réforme rapprocherait la France des autres pays européens. En effet, en 2023, les cotisations patronales constituent 22,5 % des prélèvements obligatoires (PO) en France contre des moyennes de 19,2 % dans la zone euro et 17,9 % dans l’Union européenne (17,4 % en Allemagne). La TVA constitue 16,6 % des PO en France contre des moyennes de 17,6 % dans la zone euro et 18,3 % dans l’Union européenne (17,6 % en Allemagne).

Une baisse d’un point du taux des cotisations patronales devrait être compensée par une hausse d’environ 0,8 point de l’ensemble des taux de TVA pour que le produit total des PO soit inchangé (hors impact de la hausse des prix sur les prestations sociales indexées).

La baisse des cotisations patronales améliore la compétitivité prix des entreprises et la hausse de la TVA accroît le prix des importations sans modifier celui des exportations. La TVA sociale est ainsi économiquement équivalente à une dévaluation et peut permettre de rééquilibrer les échanges commerciaux tout en accroissant l’emploi et la production. Pour que ces résultats favorables soient obtenus, il faut que la hausse des prix de la consommation ne soit pas totalement répercutée dans les salaires et que les salariés supportent donc une baisse de leur pouvoir d’achat.

Il faut enfin souligner qu’il n’existe pas d’assiette miracle sur laquelle on pourrait prélever sans coût pour financer des dépenses sociales qui croissent plus vite que le PIB. Comme je le note dans mon nouveau livre, c’était déjà la conclusion qui était tirée de ces débats il y a 30 ans.

A) Une clarification du financement de la protection sociale

Ce redéploiement des prélèvements obligatoires, des cotisations patronales vers la TVA, pourrait accompagner une rectification de la frontière entre les domaines respectifs des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, comme indiqué dans une autre note sur ce site dont les conclusions sont les suivantes.

La sécurité sociale reposait en 1945 sur un modèle bismarckien, où les prestations dépendent des cotisations et où celles-ci doivent équilibrer les prestations. Elle a évolué vers un modèle beveridgien où, dans une logique de solidarité, les prestations dépendent des besoins (maladie) et peuvent être modulées selon les revenus (allocations familiales). Dans un tel modèle, les prestations devraient être financées par l’impôt et par l’État.

Aujourd’hui, les dispositifs d’assurance et de solidarité sont souvent indistinctement mêlés. Le solde des comptes de la sécurité sociale et de chacune de ses branches dépend du partage des impôts affectés entre l’État et ces branches. Or ce partage est devenu financièrement déterminant (les cotisations ne constituent désormais plus que 48 % des recettes de la sécurité sociale), incompréhensible et très instable. Le solde des comptes de la sécurité sociale et de ses différentes branches, comme par symétrie celui de l’État, n’a plus guère de signification et seul le solde du compte des administrations publiques dans leur ensemble en a une.

Les remboursements d’assurance maladie, les prestations familiales et celles de la branche autonomie relèvent de la solidarité et devraient être financés par des impôts : la CSG, la TVA et les taxes sur les produits nocifs à la santé (ou des transferts de l’État eux-mêmes financés par des impôts). Le montant des impôts affectés à ces branches devrait être fixé de sorte que leurs recettes totales soient égales aux objectifs de dépenses qui leur sont assignés par la loi de programmation des finances publiques. Leur déficit comptable correspondrait à l’écart entre leurs dépenses effectives et ces objectifs de dépenses.

Les pensions de retraite, les indemnités journalières pour maladie et les indemnités d’accidents du travail relèvent d’une logique assurantielle et devraient être financées par des cotisations sociales. Prestations et cotisations devraient être strictement équilibrées. Les éléments de solidarité des pensions (majorations en fonction du nombre d’enfants…) devraient toutefois être isolés dans une section spéciale de la comptabilité des caisses de retraite (au-delà de ce qui est déjà fait avec le fonds de solidarité vieillesse) et être financés par l’impôt (CSG et TVA) comme les branches relevant d’une logique de solidarité.

Dans cette perspective, les cotisations patronales aux branches maladie et famille pourraient être réduites en contrepartie d’une hausse de la TVA dont le produit leur serait affecté.

B) L’exemple des autres pays

Une telle réforme rapprocherait la France des autres pays européens. En effet, la part des cotisations sociales patronales dans le total des prélèvements obligatoires (PO) y est souvent plus faible qu’en France et celle de la TVA plus importante. Certains d’entre eux, comme le Danemark dès 1987 ou l’Allemagne en 2007, ont en effet remplacé à certaines périodes des cotisations sociales par la TVA.

En 2023, les cotisations patronales constituent 22,5 % des PO en France contre des moyennes de 19,2 % dans la zone euro et 17,9 % dans l’Union européenne (17,4 % en Allemagne). La TVA constitue 16,6 % des PO en France contre des moyennes de 17,6 % dans la zone euro et 18,3 % dans l’Union européenne (17,6 % en Allemagne).

La part de la TVA et des cotisations patronales dans les prélèvements obligatoires       (en % en 2023)

France

Allemagne

Italie

Espagne

Pays-Bas

TVA

16,6

17,6

15,9

17,5

18,4

Cotisations patronales

22,5

17,4

20,3

25,8

13,0

Belgique

Zone euro

Pologne

Suède

Union européenne

TVA

14,8

17,6

20,9

21,5

18,3

Cotisations patronales

18,1

19,2

13,5

6,2

17,9

Source : Commission européenne ; FIPECO

C) Les enjeux financiers

Les enjeux financiers peuvent être appréhendés en notant qu’une réduction de 1 point du taux des cotisations sociales des employeurs (indépendants inclus) entraîne une perte de recettes d’environ 10 Md€ pour l’ensemble des régimes de sécurité sociale. Toutefois, la baisse de cotisation des employeurs publics incluse dans ce montant (1,5 Md€) n’aurait pas d’impact sur le déficit public. Le coût net pour les finances publiques serait donc d’environ 8,5 Md€.

Une hausse de 1 point de tous les taux de TVA rapporte environ 13 Md€, dont un peu plus de 8 Md€ pour le taux normal de 20 %, mais 2 Md€ sont payés par des administrations publiques.

Une baisse d’un point du taux des cotisations patronales devrait donc être compensée par une hausse d’environ 0,8 point de l’ensemble des taux de TVA pour que le produit total des prélèvements obligatoires soit inchangé.

Ces calculs ne tiennent pas compte de l’impact de la hausse des prix sur les prestations sociales indexées sur l’inflation.

D) Un impact favorable sur l’activité et l’emploi sous certaines conditions

1) Les effets favorables attendus

Une baisse du taux des cotisations sociales patronales se traduit par une diminution des coûts de production qui, à taux de marge inchangé, permet aux entreprises de réduire leurs prix de vente et d’améliorer leur « compétitivité prix » vis-à-vis de leurs concurrents étrangers, aussi bien sur les marchés internationaux que sur le marché domestique.

La hausse de la TVA touche de la même façon les biens et services produits en France et ceux qui sont importés de l’étranger, dont les prix augmentent donc identiquement, à taux de marge inchangés. En revanche, les exportations sont exonérées de TVA et sa hausse ne les affecte donc pas.

La TVA sociale permet donc d’améliorer la compétitivité prix des entreprises françaises, grâce à la baisse des cotisations patronales, sans dégrader les finances publiques, la baisse des cotisations étant financée par une hausse de la TVA qui est elle-même neutre au regard de la compétitivité par rapport aux autres pays.

Avec une telle réforme, le prix des produits exportés par la France diminue sur les marchés extérieurs, le prix des produits importés en France augmente et le prix des produits français ne varie quasiment pas, la baisse des cotisations étant compensée par la hausse de la TVA : c’est exactement ce qui résulte de la dévaluation d’une monnaie. C’est pourquoi, les économistes parlent à propos de la TVA sociale de « dévaluation interne » ou de « dévaluation fiscale ». Ayant les mêmes caractéristiques économiques qu’une dévaluation monétaire au sens habituel, elle peut s’y substituer dans les pays, comme ceux de la zone euro, qui partagent leur monnaie avec d’autres et ne peuvent pas en fixer seuls le taux de change.

L’amélioration de la compétitivité prix qui en résulte stimule le volume des exportations et ralentit celui des importations. On peut donc en attendre une hausse de la production nationale et de l’emploi. En outre, si l’augmentation des exportations et la diminution des importations, en volume, sont suffisamment forts, au regard de la baisse du prix des exportations et de la hausse du prix des importations, on peut également en attendre une amélioration du solde en valeur de la balance commerciale.

Cependant, toutes les dévaluations n’ont pas des effets aussi favorables, tout au moins dans la durée, car leur succès repose sur plusieurs conditions qui ne sont pas toujours respectées.

2) Les risques

La hausse des prix des importations entraîne une hausse des prix à la consommation, parce que les produits importés sont directement consommés par les ménages ou parce qu’ils sont achetés par des entreprises qui en répercutent le coût sur leurs prix de vente.

Cette hausse des prix à la consommation entraîne une augmentation des salaires bruts et nets, soit parce qu’ils sont indexés de droit (le SMIC), soit parce que la baisse des cotisations patronales conduit les entreprises à accepter plus facilement des augmentations dans le cadre des négociations salariales. Les coûts de production sont donc accrus de même que les prix de vente et finalement les prix à la consommation.

Dans une économie où tous les revenus sont indexés et où les entreprises répercutent toute hausse de leurs coûts dans leurs prix, l’amélioration de la compétitivité prix permise par la dévaluation est finalement annulée à la fin de ce processus. A long terme, la dévaluation, monétaire ou fiscale, n’a aucun impact sur l’activité et l’emploi.

3) Les conditions de succès

Pour que les gains de compétitivité prix permis initialement par la dévaluation se maintiennent dans la durée, il faut que la hausse des prix à la consommation ne soit pas totalement répercutée dans les salaires ou que la hausse des salaires ne soit pas totalement répercutée dans les prix.

La deuxième solution est à éviter car elle signifie que les marges des entreprises diminuent, ce qui risque d’entraîner une dégradation de leur « compétitivité hors prix » du fait d’une baisse de leurs investissements, notamment en recherche et développement de produits nouveaux.

Il faut donc que le « salaire réel » par tête, c’est-à-dire le pouvoir d’achat des salariés, diminue, tout au moins ne croisse que très peu. Dans ces conditions, l’emploi peut augmenter et, si sa croissance est assez forte, la masse salariale globale peut aussi s’accroître.

Cette baisse moyenne du salaire réel risque d’impacter plus fortement les ménages les plus modestes dans la mesure où la TVA est plus lourde pour eux en pourcentage de leurs revenus. Les salaires au voisinage du SMIC ne seraient toutefois pas touchés du fait de l’indexation du SMIC sur l’inflation.

Cette modération du salaire réel est nécessaire, mais seulement à court et moyen terme. Une fois que l’équilibre des échanges extérieurs est rétabli et que la production et l’emploi dépassent leurs niveaux « potentiels », les salaires réels peuvent repartir à la hausse. A long terme, cette hausse des salaires réels est nécessaire pour permettre une augmentation de l’offre de travail et de la production potentielle.

Enfin, une dévaluation, monétaire ou fiscale, ne peut réussir que si les autres pays ne font pas la même chose. Si de nombreux pays procèdent à de telles dévaluations, le seul résultat est un accroissement de l’incertitude engendrée par les fluctuations des taux de change qui est préjudiciable à l’activité et à l’emploi.

4) Les résultats des études empiriques

Le rapport de 2015 du conseil des prélèvements obligatoires sur la TVA présente les résultats des principales évaluations de la TVA sociale.

Les résultats obtenus sont très sensibles au comportement de marge des entreprises, aux élasticités des exportations et importations à leurs prix ainsi qu’aux réactions des autres pays. Ils dépendent également des modalités de la baisse des cotisations patronales : l’impact sur l’emploi est sensiblement plus important si elle est ciblée sur les bas salaires.

Il ressort de ces évaluations que la TVA sociale a un impact positif, mais relativement faible, sur le PIB, l’emploi et les échanges extérieurs. En particulier, une réduction de 1 Md€ (de 2015) de cotisations sociales patronales sur l’ensemble des salaires financée par une augmentation de 1 Md€ de la TVA entraînerait une création de 3 000 à 6 000 emplois au bout de 5 ans.

Le tableau suivant donne les résultats obtenus au bout de 5 ans avec le modèle Mésange de l’Insee et de la direction générale du trésor pour une baisse non ciblée des cotisations patronales de 1 point de PIB financée par une hausse de même montant de la TVA, en supposant que les autres pays ne réagissent pas. Dans ce modèle, les salaires nominaux sont assez peu indexés sur l’inflation et la TVA sociale est donc efficace en termes d’activité et d’emploi, au détriment des salaires réels.

L’impact d’une TVA sociale de 1 point de PIB au bout de 5 ans

PIB (%)

0,2

Emploi salarié

200 000

Exportations en volume (%)

0,6

Importations en volume

- 0,2

Prix à la consommation (%)

0,2

Salaire réel (%)

- 1,4

Source : modèle Mésange (version de 2017), Insee et direction générale du trésor ; FIPECO.

Ces évaluations ont été réalisées avant que la transformation du CICE en allègements de cotisations patronales ne conduise à une quasi-disparition de celles-ci au niveau du SMIC. L’impact sur l’emploi qu’elles mettent en évidence est donc probablement surestimé.

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