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27/08/2018

Pourquoi il faut réduire plus le déficit structurel

François ECALLE

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Selon le rapport publié par le Gouvernement en vue du débat d’orientation des finances publiques de juillet dernier, le déficit structurel diminuerait de 1,2 point entre 2017 et 2022 pour être ramené à 1,0 % du PIB. Le programme de stabilité présenté par la France en avril dernier, principale référence au regard des règles budgétaires européennes, prévoit pourtant qu’il diminue de 1,4 point pour être ramené à 0,6 % du PIB en 2022. La loi de programmation des finances publiques, principale référence au regard du droit national, prévoit qu’il diminue de 1,4 point pour être ramené à 0,8 % du PIB en 2022 (cf. commentaire de juillet dernier). Les mesures annoncées les 26 et 27 août modifient le calendrier de la réduction du déficit structurel (décalage des baisses de cotisations patronales) mais pas son ampleur sur l’ensemble du quinquennat (la désindexation des prestations sociales est un moyen d’atteindre les objectifs de dépenses inscrits dans ces textes).

Source : loi de programmation des finances publiques, programme de stabilité et rapport du Gouvernement en vue du débat d’orientation des finances publiques ; FIPECO.

Si la mesure du solde structurel est notoirement fragile, les estimations de son niveau en France sont dans une fourchette d’ampleur limitée et cet indicateur est essentiel pour apprécier correctement la pertinence de la politique budgétaire.

Les règles budgétaires européennes imposent avec raison l’équilibre structurel des comptes publics et, pour les pays qui ne l’ont pas atteint, une réduction de leur déficit structurel d’au moins 0,5 point de PIB par an. Or l’ajustement structurel prévu par le Gouvernement est nettement plus faible. Les éléments de flexibilité associés à ces règles permettront peut-être à la France de ne pas être sanctionnée mais sa crédibilité budgétaire n’en sera pas améliorée.

Indépendamment de ces règles, il est dans l’intérêt de la France d’atteindre plus rapidement l’équilibre structurel de ses comptes pour réduire durablement son endettement. Une réduction plus rapide du déficit public pourrait certes ralentir la croissance mais celle-ci reste assez solide, en dépit du trou d’air du premier semestre, et cet effet négatif serait seulement temporaire. Si la conjoncture paraissait néanmoins trop défavorable, le déficit effectif pourrait être accru, la réduction de sa composante structurelle étant compensée par une hausse de sa composante conjoncturelle. L’essentiel est que le déficit structurel diminue.

Les objectifs de ralentissement de la croissance des dépenses publiques sont ambitieux et doivent être respectés mais il ne serait pas réaliste d’envisager des économies plus importantes. En revanche, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales des 20 % des ménages les plus riches devrait être financée par une hausse de l’impôt sur les revenus des mêmes ménages.

A)Le solde structurel est un indicateur essentiel pour guider la politique budgétaire bien que sa mesure soit fragile

Une fiche de l’encyclopédie des finances publiques de FIPECO explique comment est calculé le solde structurel des administrations publiques. En simplifiant, ce calcul commence par l’estimation du PIB qui serait enregistré si l’activité économique ne connaissait pas de fluctuations, le « PIB potentiel ». Ensuite sont estimés les gains ou pertes de recettes, ainsi que les économies ou les dépenses supplémentaires, dus à « l’écart de production » entre le PIB effectif et ce PIB potentiel, ce qui permet d’obtenir la composante conjoncturelle du solde effectif appelée « solde conjoncturel ». Le solde structurel est enfin la différence entre le solde effectif mesuré par les comptables nationaux et ce solde conjoncturel.

Le solde structurel est donc, en principe, indépendant de la conjoncture économique. Il résulte des mesures de politique économique relatives aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques mises en œuvre par les gouvernements successifs jusqu’à l’année considérée.

1)La mesure du solde structurel est notoirement fragile

La principale fragilité du solde structurel réside dans la mesure du PIB potentiel, qui est précisée dans une autre fiche. Pour déterminer le PIB potentiel, les économistes sont obligés de s’appuyer assez largement sur des estimations de la tendance à long terme du PIB ou de certaines de ses composantes, notamment la productivité des facteurs de production. Le résultat dépend beaucoup de la période prise en compte pour estimer cette tendance et il peut changer fortement lorsque les années les plus récentes sont ajoutées à cette période, surtout si elles s’avèrent atypiques comme les années 2008 et 2009. En conséquence, les économistes sont amenés à réviser fréquemment leurs estimations du PIB potentiel, non seulement pour les années les plus récentes, mais aussi pour des périodes anciennes.

La mesure du solde structurel est donc elle-même fragile et sujette à révision. Toutefois, le solde structurel est également souvent revu non parce que le PIB potentiel est corrigé mais parce que le solde effectif est révisé.

En outre, le solde structurel n’est pas totalement indépendant de la conjoncture. En effet, il repose sur l’estimation du solde conjoncturel qui est lui-même calculé en supposant qu’une augmentation du PIB de 1,0 % entraîne une hausse des recettes publiques de 1,0 %. Or, si cette hypothèse est vérifiée en moyenne sur plusieurs années, elle ne l’est pas année par année : « l’élasticité des recettes publiques au PIB » (le rapport entre leurs taux de croissance) n’est pas toujours égale à 1,0 et elle est en partie cyclique. Le déficit structurel est en conséquence lui-même en partie cyclique.

Enfin, l’impact des « mesures ponctuelles et temporaires » de montant significatif est également déduit du solde effectif, comme le solde conjoncturel, pour mesurer le solde structurel. La justification en est simple : il ne faut pas que le solde structurel d’une année donnée puisse être amélioré ou dégradé par des mesures qui n’ont d’effet que sur cette seule année et ne se traduisent pas par une amélioration, ou une dégradation, durable des finances publiques. En pratique, il n’existe toutefois aucune définition consensuelle de ces mesures ponctuelles et temporaires.

2)L’ordre de grandeur du déficit structurel de la France et de ses variations annuelles est néanmoins assez bien connu

La mesure du solde structurel d’un pays résultant de choix techniques pouvant être biaisés, elle ne peut pas être laissée sous la responsabilité de son gouvernement. C’est pourquoi les règles budgétaires européennes prévoient que l’estimation du solde structurel et de son évolution par les gouvernements soit placée sous la surveillance de « comités budgétaires indépendants ». En France, c’est une des missions du Haut Conseil des finances publiques.

Dans son avis de mai 2018, il a validé l’estimation du Gouvernement d’un déficit structurel de 2,2 % du PIB en 2017. Pour cette même année 2017, le déficit structurel est estimé à 2,1 % par la Commission européenne, à 1,8 % par l’OCDE et 1,4 % par le FMI. Il y a donc tout lieu de penser qu’il est dans la fourchette 1,5 / 2,2 % du PIB, dont l’ampleur est relativement limitée.

L’incertitude est en général un peu moins grande sur la croissance potentielle, et donc la variation du solde structurel d’une année à l’autre, que sur le niveau du PIB potentiel, et donc du solde structurel.

3)Le solde structurel, complété par l’effort structurel, est un indicateur essentiel pour guider la politique budgétaire

L’examen du solde structurel a été introduit dans les procédures de suivi des finances publiques du pacte de stabilité et de croissance en 2005, après des erreurs de politique économique commises par les pays membres au tournant des années 2000 lorsque la croissance, gonflée par la « bulle Internet », était forte.

Dans cette conjoncture favorable, les déficits publics ont mécaniquement diminué et se sont souvent situés au-dessous du plafond de 3 % du PIB. De nombreux gouvernements, dont celui de la France, en ont conclu qu’ils pouvaient, sans risque de revenir au-dessus de ce plafond, réduire les prélèvements obligatoires ou augmenter les dépenses dans de fortes proportions.

Lorsque la conjoncture économique s’est retournée en 2002-2003, les déficits publics, notamment ceux de la France et de l’Allemagne, sont repartis à la hausse et sont devenus excessifs au sens du traité de Maastricht (supérieurs à 3,0 % du PIB). Si ces pays avaient été contraints de réduire leur déficit structurel, malgré l’amélioration de leur solde effectif, ils se seraient trouvés en 2002 avec un solde effectif plus élevé et dans une situation beaucoup plus favorable pour gérer le ralentissement de l’activité économique.

Au début de 2010, le Conseil de l’Union européenne a recommandé à la France de ramener son déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB en 2013. En 2013, il est apparu que la croissance du PIB était quasiment nulle et que cet objectif était impossible à atteindre, sauf à prendre des mesures drastiques de redressement qui risquaient d’entraîner une récession. Conformément aux règles européennes, la Commission et le Conseil ont alors accepté de repousser à 2015 le retour du déficit effectif sous le seuil de 3,0 % du PIB tout en demandant à la France une réduction de son déficit structurel beaucoup moins forte que celle qui aurait permis de ramener son déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB dès 2013.

Dans une telle conjoncture, il est en effet plus pertinent de se donner un objectif raisonnable de réduction du déficit structurel qu’un objectif de réduction du déficit effectif imposant des mesures de redressement de nature à provoquer une baisse de l’activité économique de telle ampleur que cet objectif de déficit effectif en deviendrait inatteignable.

Au total, la politique budgétaire est mieux adaptée aux fluctuations conjoncturelles de l’activité lorsqu’elle se donne des objectifs d’évolution du solde structurel plutôt que des objectifs de solde effectif. Elle évite ainsi de réduire les prélèvements ou d’accroître les dépenses en haut de cycle, quand il faudrait faire l’inverse, ou d’augmenter les prélèvements et de réduire les dépenses en bas de cycle, quand il faudrait également faire l’inverse.

Par ailleurs, si les évolutions du solde structurel sont en partie cycliques, ce n’est pas le cas d’un indicateur voisin, « l’effort structurel ». Celui-ci ne présente pas non plus un autre défaut du solde structurel : sa variation d’une année à l’autre ne peut pas être décomposé pour déterminer la contribution de mesures particulières de politique économique relatives aux dépenses publiques ou aux prélèvements obligatoires. Les contributions de ces mesures à l’effort structurel peuvent en revanche être estimées. L’effort structurel est désormais pris en compte dans le pacte de stabilité et de croissance européen (PSC) qui précise les dispositions du traité de Maastricht.

B)La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement est insuffisante au regard des règles européennes, sauf à en avoir une interprétation très flexible

Son déficit public étant inférieur à 3,0 % du PIB, la France est soumise aux dispositions du traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union européenne ainsi qu’au « volet préventif » du PSC. Ces textes imposent aux Etats signataires de viser un « objectif de moyen terme » (OMT) de solde structurel proche de l’équilibre (son niveau dépendant notamment de l’importance de la dette publique). S’agissant de la France, l’OMT est un déficit structurel de 0,4 point de PIB, qui ne sera pas atteint en 2022 selon les prévisions du Gouvernement.

Les textes européens ne fixent pas de délai pour atteindre l’OMT aux pays qui en sont encore éloignés, le TSCG évoquant seulement une « convergence rapide ». L’article 5 du règlement 1466/97, qui constitue un des éléments du PSC, précise néanmoins que le déficit structurel doit diminuer chaque année de 0,5 point de PIB « à titre de référence » et de plus de 0,5 point pour les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB (0,6 point s’agissant de la France).

La réduction du déficit structurel prévue dans le rapport préalable au débat d’orientation des finances publiques ne respecte pas cette règle puisqu’elle serait de 1,2 point en cinq ans.

L’article 5 ajoute que, pour apprécier la trajectoire budgétaire d’un Etat membre, la Commission et le Conseil peuvent tenir compte de la mise en œuvre de « réformes structurelles majeures » ayant des effets budgétaires positifs directs à long terme, y compris en renforçant la croissance potentielle. L’article 5 précise toutefois que le solde structurel doit atteindre l’OMT à la fin de la période de programmation pour que cette flexibilité puisse jouer, ce qui ne sera pas le cas.

Dans son avis du 24 septembre 2017 sur le projet de loi de programmation, le Haut Conseil des finances publiques avait souligné que « la trajectoire envisagée s’écarte des engagements européens de la France ». Or la trajectoire prévue dans le rapport préalable au débat d’orientation de juillet 2018 s’en éloigne encore plus.

Il faudrait une interprétation particulièrement souple des règles budgétaires européennes pour considérer que cette programmation les respecte. Ce sera peut-être néanmoins la position de la Commission et du Conseil lorsqu’ils examineront le projet de loi de finances pour 2019 en octobre prochain mais, même dans ce cas, la crédibilité de la France en matière de finances publiques, risque d’être de nouveau amoindrie, ce qui pourrait rendre plus difficile de faire accepter certaines réformes, comme la création d’un budget de la zone euro, qui ne soit pas seulement symbolique par certains de nos partenaires.

C)Une réduction plus rapide du déficit structurel, avec des baisses d’impôts moins fortes, est nécessaire

1)Une réduction plus rapide du déficit structurel est nécessaire

Indépendamment de son appartenance à l’Union européenne et du respect de ses règles budgétaires, la réduction de son déficit structurel est une nécessité pour la France.

La diminution du déficit public a certes un impact négatif à court terme sur l’activité économique et donc sur l’emploi. Mais c’est un effet temporaire, l’activité économique étant indépendante du niveau du déficit public à moyen terme.

Un ralentissement plus prononcé de la croissance dans un « trou d’air » comme celui que nous connaissons depuis le début de l’année pourrait être inopportun, d’autant plus que le contexte politique et économique international est inquiétant (risques de guerre commerciale, Brexit, situation politique en Italie…). Toutefois, les indicateurs de climat des affaires restent nettement supérieurs à leur niveau moyen et, même si la croissance annuelle du PIB était seulement de 1,5 % en 2018-2019, elle serait supérieure à son potentiel. En conséquence, l’écart de production, d’environ 1,0 % du PIB en 2017, devrait être quasiment nul en 2020.

La France a trop souvent reporté à plus tard le redressement de ses finances publiques parce que la conjoncture n’était pas suffisamment favorable et, avec une dette proche de 100 % du PIB, elle doit arrêter de procrastiner.

En effet, au prochain ralentissement conjoncturel, voire au prochain choc macroéconomique violent car il y en aura d’autres, le déficit et la dette publics repartiront à la hausse. En outre, l’inévitable remontée des taux d’intérêt les fera également remonter dans les prochaines années. Une hausse de 1 point des taux d’intérêt à toutes les échéances accroît les charges de l’Etat d’environ 5 Md€ au bout de deux ans (et de 19 Md€ au bout de dix ans).

Personne ne peut dire à partir de quel niveau de dette publique les créanciers d’un Etat se mettent à douter de sa solvabilité et ajoutent des primes de risques insupportables au taux d’intérêt des emprunts d’Etat, créant ainsi les conditions d’une crise des finances publiques. Cela dépend de multiples paramètres comme l’endettement net vis-à-vis du reste du monde, les marges de hausse des prélèvements obligatoires ou encore la crédibilité de la politique économique. S’agissant de la France, la force de ses liens avec l’Allemagne est un critère essentiel aux yeux des investisseurs étrangers qui la protège efficacement.

Si la dette continue à augmenter, les acteurs des marchés financiers finiront un jour par prendre peur et il faudra la réduire dans l’urgence. Ce sera d’autant plus difficile qu’elle aura atteint un niveau élevé car l’excédent primaire requis pour stabiliser la dette publique est proportionnel à son montant.

Pour ne pas prendre ce risque, ou le faire prendre aux générations futures, il faut réduire nettement et rapidement la dette publique, donc ramener les comptes publics à l’équilibre structurel plus vite que prévu par le Gouvernement.

Si la conjoncture semble trop défavorable, le déficit effectif pourrait néanmoins être maintenu au niveau prévu par le Gouvernement dans son rapport d’orientation des finances publiques, la réduction de sa composante structurelle étant compensée par une hausse de sa composante conjoncturelle. Si la conjoncture se dégradait plus fortement, un déficit effectif plus élevé que prévu dans ce rapport pourrait même être souhaitable à condition que l’ajustement structurel soit plus important.

2)La suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus riches doit être financée par une hausse des impôts sur les mêmes ménages

Les objectifs de maîtrise de la croissance des dépenses publiques affichés par le Gouvernement seront difficiles à atteindre et les respecter serait déjà un résultat satisfaisant, y compris en tenant compte des mesures annoncées le 26 août par le Premier ministre. Il ne serait pas réaliste de compter sur des économies budgétaires plus importantes.

La réduction du déficit structurel est trop faible surtout parce que la baisse des prélèvements obligatoires est trop forte. En particulier, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales des 20 % des ménages les plus riches aggravera le déficit structurel d’environ 0,3 point de PIB.

La suppression de la taxe d’habitation pour toutes les résidences principales est désormais inévitable, sa suppression pour seulement 80 % d’entre elles posant des problèmes techniques très difficiles à résoudre. Il n’est pas pour autant souhaitable d’alléger de 8 Md€ par an les impôts des 20 % de ménages les plus riches après la réforme de l’ISF et la création du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital financier.

Il faudrait relever les taux des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (IR) de façon à augmenter son produit d’environ 8 Md€ sur le quintile supérieur des ménages. Ce surcroît de recettes fiscales pourrait être affecté aux collectivités locales sous la forme d’un impôt local sur le revenu dont elles pourraient moduler le taux pour les ménages ayant leur résidence principale sur leur territoire. Dans l’ensemble des ménages formant ce quintile, certains y perdraient car la hausse de l’IR serait supérieure à leur taxe d’habitation et d’autres y gagneraient car elle serait inférieure, mais l’impact moyen pourrait être nul. Des précisions sur cette solution peuvent être trouvées dans la note d’analyse du remplacement de la taxe d’habitation sur ce site.

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