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06/10/2025

Les options face à la dérive de la dette publique

François ECALLE

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De 2019 à 2024, période marquée par des crises qui ont affecté tous les pays européens, la dette publique de la France a augmenté de 15 points, en pourcentage du PIB, alors que la hausse moyenne dans la zone euro a été de 4 points. Elle est désormais la troisième la plus importante de la zone euro et de l’Union européenne.

Ce billet présente les avantages, les risques et la faisabilité des options envisageables pour faire face à cette dérive de la dette publique. La meilleure serait évidemment que la croissance soit suffisamment forte au cours des prochaines années pour permettre à elle seule de stabiliser la dette, voire de la réduire. Les mesures qui permettraient de relever le taux de la croissance potentielle du PIB appellent toutefois des analyses complexes dont la présentation augmenterait beaucoup la taille de cette note. De surcroît, les mesures susceptibles d’accroître le PIB potentiel présentent de longs délais de montée en puissance. Cette option n’est donc citée ici que pour mémoire.

Un État en déficit qui ne rembourse pas ses dettes risque de ne plus pouvoir payer ses dépenses (prestations sociales, salaires des fonctionnaires…) car il ne peut plus emprunter. Il peut essayer de convaincre ses créanciers de continuer à le financer pour ne pas perdre toutes leurs créances, mais le résultat est incertain. En général, l’État défaillant doit appliquer des mesures de redressement drastiques imposées de l’extérieur. Le non-remboursement de notre dette publique n’est donc pas une option envisageable.

La dette de l’Etat ne peut pas augmenter indéfiniment car ses créanciers finissent par craindre de ne pas être remboursés et par exiger un taux d’intérêt de plus en plus élevé, ce qui peut le conduire au défaut de paiement. Il est toutefois impossible de déterminer un seuil d’endettement au-delà duquel ils prennent peur, car cela dépend de nombreux facteurs parfois aussi difficiles à mesurer que la crédibilité de la politique économique. Les états les plus endettés doivent montrer qu’ils peuvent reprendre le contrôle de leur dette, c’est-à-dire au moins la stabiliser en pourcentage du PIB si ce n’est la réduire.

On peut craindre que le taux d’intérêt de la dette publique redevienne durablement supérieur au taux de croissance nominal du PIB. Dans ces conditions, pour éviter un emballement incontrôlé de la dette, il faut dégager un solde primaire positif et d’autant plus important que la dette est élevée. Retarder l’ajustement nécessaire des comptes publics ne peut alors qu’en accroître le montant. S’agissant de la France, cet effort devrait principalement prendre la forme d’économies sur les dépenses publiques mais une hausse des prélèvements obligatoires est inévitable au regard de l’ampleur de l’ajustement nécessaire.

Une banque centrale pourrait assurer à l’État un financement perpétuel et illimité excluant tout risque de défaut de paiement, mais en prenant le risque d’une inflation trop forte. Tout transfert sans contrepartie de la banque centrale à l’État sous forme de taux d’intérêt préférentiel, d’annulation de créances ou de subvention à celui-ci pour qu’il distribue de la « monnaie hélicoptère », entraînerait une diminution équivalente des dividendes et de l’impôt sur les sociétés qu’elle lui verse ou l’obligation de la recapitaliser. De telles mesures sont donc inutiles sauf à considérer qu’une banque centrale peut avoir des fonds propres négatifs et que l’émission de monnaie peut être illimitée sans qu’elle ne se déprécie fortement au détriment du pouvoir d’achat, ce qui serait un pari très risqué.

L’inflation, qui ne se décrète pas, facilite temporairement la réduction de la dette publique et cette facilité peut conduire un gouvernement à vouloir l’augmenter toujours plus s’il contrôle la banque centrale. Or elle a un coût économique et social et, si elle est trop forte, il faut engager une difficile politique de désinflation qui rend plus difficile la maîtrise de l’endettement public.

L’Union européenne s’est dotée en 2020 d’une capacité d’emprunt pour payer certaines dépenses des pays membres, mais ses dettes devront être remboursées par de nouveaux impôts communautaires ou des prélèvements sur les budgets nationaux. Certains économistes proposent qu’elle emprunte de nouveau pour rembourser ses dettes actuelles et financer de nouvelles dépenses. C’est une option intéressante pour la France, mais elle est difficilement acceptable par les pays du nord et du centre de l’Europe, sauf peut-être pour financer des dépenses militaires.

A) Ne pas rembourser la dette publique

Si un État ne rembourse pas ses dettes[1] ou n’en paye pas les intérêts à ses créanciers (autres que la banque centrale, traitée plus loin), il risque de ne trouver plus personne pour lui accorder de nouveaux prêts. Si son solde primaire (hors charge d’intérêt) est déficitaire, ce qui est généralement le cas des Etats qui font défaut sur leur dette, il ne peut alors plus payer les fonctionnaires, ses fournisseurs, les bénéficiaires de prestations sociales… sauf à augmenter très vite et très fortement les prélèvements obligatoires.

Il doit alors souvent faire appel à des institutions internationales qui jouent le rôle de prêteur en dernier ressort, comme le FMI ou le mécanisme européen de stabilité (MES) dans la zone euro (l’intervention de la banque centrale est traitée plus loin). Leur aide financière n’est cependant pas illimitée et elle n’est pas sans contrepartie, la principale étant la mise en œuvre de mesures de rééquilibrage des comptes publics souvent douloureuses pour la population et traduisant une perte de souveraineté. Celle-ci réside en effet pour une large part dans le pouvoir de lever l’impôt et d’en affecter le produit aux dépenses votées par le Parlement.

Les créanciers de l’État considéré peuvent néanmoins restructurer leurs créances (en différant le remboursement du principal et/ou en réduisant le taux d’intérêt) et continuer à le financer s’il arrive à les convaincre que cela leur coûtera moins cher que de perdre la totalité de leurs créances. Un créancier peut en effet préférer éviter une perte immédiate importante et se contenter d’une faible probabilité de récupérer son capital à long terme si ses créances sur cet Etat représentent une part importante de ses actifs. L’ampleur de la restructuration dépend aussi de la crédibilité des mesures de redressement annoncées et des mécanismes de coordination entre les créanciers, chacun d’eux ayant intérêt à laisser les autres restructurer leurs créances et à ne faire aucune concession.

Il est donc très difficile de prévoir le résultat de ces négociations et l’importance des mesures de redressement imposées à l’État défaillant, d’une part, et des pertes des créanciers, d’autre part. En outre, ces pertes sont souvent largement répercutées par les créanciers (banques, compagnies d’assurances, fonds de pension…) sur leurs clients. Comme les établissements financiers d’un pays ont souvent beaucoup de créances sur leur propre État, les ménages et entreprises de ce pays peuvent beaucoup y perdre.

L’État défaillant ne peut se financer de nouveau normalement que lorsque sa politique économique rassure les acteurs des marchés financiers ou lorsque ceux-ci oublient son défaut de paiement, ce qui peut prendre beaucoup de temps.

B) Laisser la dette publique augmenter

Un État en déficit, comme en France, rembourse ses dettes en réempruntant simultanément les montants nécessaires à ces remboursements. Il doit en outre emprunter pour financer son déficit de l’année en cours.

La dette publique ne peut pas augmenter indéfiniment car les créanciers de l’État finissent un jour ou l’autre par douter de sa capacité à emprunter suffisamment pour pouvoir toujours rembourser ses dettes anciennes et financer son déficit. Dans ses conditions, ils estiment prendre un risque en continuant à souscrire à ses emprunts et ajoutent une « prime de risque » au taux d’intérêt qu’ils exigent pour continuer à y souscrire. Cette hausse des taux d’intérêt ne peut cependant qu’aggraver le déficit et la dette et renforcer les craintes des créanciers.

La prime de risque est donc de plus en plus forte ; la dette s’emballe et devient incontrôlable ; certains créanciers finissent par refuser de prêter à l’État, même à des taux très élevés. La crise financière se termine par un défaut de paiement, l’État ne trouvant plus les financements nécessaires pour rembourser ses dettes, ce qui renvoie aux observations précédentes[2].

Le seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques est impossible à déterminer précisément parce qu’il dépend de nombreux paramètres mal connus et souvent spécifiques à chaque pays et à chaque période.

Le Japon n’a jamais éprouvé de difficultés pour financer son déficit et rembourser une dette publique dépassant 200 % depuis longtemps, alors que l’Espagne a connu une grave crise de ses finances publiques en 2011-2012 malgré un endettement public de seulement 67 % du PIB fin 2010[3]. L’explication en est, pour partie, que l’Espagne était fortement endettée vis-à-vis du reste du monde en 2010 alors que le Japon détient des actifs nets considérables sur les autres pays. La position globale de l’ensemble des agents économiques du pays vis-à-vis de l’extérieur importe autant que celle de l’Etat ou des administrations publiques. 

La pertinence et la crédibilité de la politique économique suivie sont également des facteurs essentiels. Si les créanciers de l’État considèrent que sa politique économique est crédible et pertinente, ils peuvent continuer à lui prêter en confiance même si sa dette est très élevée.

La capacité à augmenter les impôts ou à réduire les dépenses publiques, si nécessaire, constitue aussi un paramètre déterminant. Le degré probable de solidarité des pays voisins, notamment au sein d’une union économique et monétaire, doit aussi être pris en compte.

La situation relative de l’endettement public par rapport à celle des pays comparables est enfin un élément important. L’augmentation des dettes publiques est moins préoccupante si elle concerne beaucoup de pays. Le facteur aggravant pour la France est, a contrario, un endettement qui croît plus vite que celui des pays comparables.

Les pays qui ont une dette publique plus élevée que les autres et croissante sont exposés à la défiance de leurs créanciers et doivent montrer qu’ils sont capables de la stabiliser puis de la réduire, en pourcentage du PIB. Le PIB est en effet une mesure approximative de l’assiette des prélèvements obligatoires et donc des ressources potentielles d’un Etat.

Cette capacité d’un État à stabiliser sa dette en pourcentage du PIB, quel que soit le niveau auquel elle est stabilisée, est considéré depuis longtemps par les économistes comme la condition nécessaire de la « soutenabilité » de cet endettement, c’est-à-dire de la capacité de l’Etat à en payer le principal et les intérêts sans risque de défaut. Ce n’est cependant pas une condition suffisante : une dette qui ne pourrait être stabilisée qu’à 500 % du PIB n’est certainement pas soutenable.

C) Augmenter le solde primaire

Pour réduire, ou au moins stabiliser, la dette publique (D) en pourcentage du PIB (Y), il faut que le solde primaire (hors intérêt), en points de PIB, soit supérieur, ou au moins égal, à un « solde primaire stabilisant ». Celui-ci (SPS) est égal au produit de la dette par l’écart entre son taux d’intérêt apparent i (rapport de la charge d’intérêt au stock de dette en fin d’année précédente) et le taux de croissance en valeur du PIB g (voir fiche sur le solde stabilisant), d’où la formule :

SPS / Y = (i – g) x D / Y

Il était admis jusqu’aux années 2010-2020 que le taux d’intérêt apparent de la dette est généralement supérieur au taux de croissance nominal du PIB. Dans ces conditions, pour stabiliser la dette, il faut dégager un excédent primaire d’autant plus important que la dette est élevée. Sinon, la dette augmente indéfiniment sous un « effet de boule de neige » : elle s’autoalimente du fait de l’accumulation des charges d’intérêt. Lorsque l’endettement est entré dans un tel processus d’emballement auto-entretenu, plus les mesures nécessaires pour l’arrêter sont prises tardivement, plus elles doivent être de grande ampleur.

Il est toutefois apparu à la fin de la précédente décennie que le taux apparent de la dette est souvent inférieur au taux de croissance du PIB. Le solde primaire stabilisant est alors un déficit et celui-ci est d’autant plus important que la dette publique est élevée. Cela signifie aussi qu’un déficit primaire très élevé permet toujours de stabiliser la dette, mais à un niveau éventuellement très élevé. Certains économistes en ont conclu que la dette publique était toujours soutenable en oubliant que si le taux d’intérêt de la dette redevenait durablement supérieur au taux de croissance du PIB avec un endettement bien plus élevé, l’effort nécessaire pour la stabiliser pourrait être irréalisable.

Le taux apparent de la dette publique dépend non seulement du taux des emprunts émis aujourd’hui mais aussi du taux des emprunts émis dans le passé et non encore remboursés, ce qui lui confère une grande inertie. En France, il a diminué lentement à partir de la création de la zone euro jusqu’à 1,5 % en 2020. Depuis lors, il est remonté jusqu’à 1,9 % en 2024, ce qui reste inférieur au taux de croissance nominal du PIB (3,3 % en 2024) mais sa hausse se poursuivra très probablement (les taux des nouvelles obligations à dix ans sont compris entre 3,0 % et 3,6 % en 2025).

Les économistes sont partagés sur l’évolution future des taux d’intérêt et du taux de croissance du PIB, mais on ne peut pas exclure que le taux d’intérêt de la dette devienne durablement supérieur au taux de croissance du PIB. Il est donc préférable de la stabiliser rapidement.

Dans une tribune écrite avec Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, et publiée par Le Point en décembre 2024, nous avons supposé que le taux d’intérêt de la dette rejoindrait le taux de croissance du PIB et lui resterait durablement égale (à 3,0 %). Dans ces conditions, il faut que le solde primaire soit nul pour stabiliser la dette. Or, il était déficitaire de presque 4,0 points de PIB en 2024. L’effort de redressement est donc de l’ordre de 4,0 % du PIB soit 120 Md€, à étaler sur plusieurs années, alors même qu’il faudrait accroître les dépenses militaires et environnementales de plusieurs dizaines de milliards pour respecter nos engagements internationaux.

Si on suppose que le déficit primaire restera à 4,0 % du PIB, donc que les dépenses militaires et environnementales supplémentaires seront compensées par des économies dans d’autres domaines ou une hausse des prélèvements obligatoires, et si on reprend les hypothèses de taux d’intérêt et de croissance de ma tribune avec O. Blanchard, la dette publique atteindra 135 % du PIB en 2030 et 175 % du PIB en 2040.

A la fin de 2024, la dette publique italienne était égale à 135 % du PIB et la dette grecque à 154 % du PIB mais elles étaient sur une tendance stable pour l’Italie (134 % du PIB fin 2014) et décroissante pour la Grèce (183 % du PIB fin 2014) alors que la dette française était sur une pente ascendante (96 % du PIB fin 2014).

Si nous ne réduisons pas fortement le déficit primaire, la dette publique risque de devenir hors de contrôle.

Les mesures de réduction du déficit public, économies sur les dépenses ou hausse des prélèvements obligatoires, ont certes toujours un effet keynésien négatif, plus ou moins fort, sur l’activité économique, ce qui réduit les recettes et contrarie la baisse du déficit. Il s’agit toutefois d’un effet de court terme qui s’atténue avec le temps. Dans le modèle Mésange de l’Insee et de la direction générale du trésor, une baisse générale des dépenses publiques de 1 point de PIB réduit le PIB de 1,1 point au bout de deux ans et 0,5 point au bout de dix ans par rapport à ce qu’il serait sans économies. En outre, les mesures qui conduisent à augmenter la population active, comme le recul de l’âge de départ en retraite, peuvent avoir des effets positifs sur le PIB.

Malgré les baisses d’impôts et de cotisations sociales mises en œuvre depuis 2017 (de l’ordre de 2,0 points de PIB), la France est toujours parmi les trois premiers pays de l’OCDE pour le taux des prélèvements obligatoires. Les marges de hausse sont donc limitées, surtout pour ce qui concerne les prélèvements sur les entreprises. La France se situait en 2023 au troisième rang de l’Union européenne pour les prélèvements sur les sociétés non financières, nets de toutes les aides qu’elles reçoivent, en pourcentage du PIB. Les augmenter contribuerait à dégrader encore plus leur compétitivité alors que le déficit de nos échanges de biens et services est structurellement déficitaire.

Si de nouveaux prélèvements sur les ménages, en fonction de leurs capacités contributives, sont possibles et inévitables dans le contexte social et politique français, l’effort de redressement des comptes publics doit principalement passer par des économies sur les dépenses publiques, notamment sur les postes les plus importants : les retraites (25 % des dépenses publiques), l’assurance maladie (20 %), les dépenses locales (19 %) et la masse salariale de l’État et de ses opérateurs (7 % hors contribution au financement des pensions). S’agissant des dépenses de personnel, il s’agit de réduire les effectifs et non les salaires.

D) Faire financer l’Etat par la banque centrale

1) Faire financer l’Etat par des prêts de la banque centrale

Les banques centrales ont acheté beaucoup d’obligations émises par l’État de leur pays de 2012 à 2022. La Banque de France détenait ainsi près de 20 % de la dette publique à fin 2024. Le traité de Maastricht interdisant aux banques centrales de la zone euro de prêter directement aux organismes publics non bancaires, elles achètent les obligations d’Etat à des intermédiaires, ce qui est de fait largement équivalent à un financement direct de l’État.

Les banques centrales pourraient prêter beaucoup plus aux états et leur reprêter les montants nécessaires au remboursement de leurs prêts initiaux. Elles pourraient également acheter aux états des obligations perpétuelles, dont le capital n’est jamais remboursé, ou tout au moins des obligations à très long terme (100 ans par exemple). Elles pourraient ainsi leur assurer un financement perpétuel et illimité excluant tout risque de banqueroute.

Le financement de l’Etat par la banque centrale risque toutefois d’avoir des effets inflationnistes, probablement plus importants que le financement des banques commerciales. En effet, les banques commerciales gardent une grande partie de leurs actifs sous forme de liquidités, en partie pour satisfaire des obligations réglementaires, alors que l’État s’endette pour payer des fonctionnaires, des prestations sociales, des biens et services… et injecte ainsi directement ses liquidités dans l’économie.

Comme on le verra plus loin, ces effets inflationnistes peuvent faciliter la maîtrise des finances publiques pendant quelques années, mais l’inflation risque d’être toujours plus élevée, voire se transformer en hyperinflation, alors qu’elle a un coût économique. À un moment ou un autre, une politique de désinflation doit être mise en place, qui passe notamment par une réduction des financements accordés par la Banque centrale à l’État et le remboursement effectif de ses dettes envers celle-ci. Historiquement, les gouvernements des pays qui se finançaient ainsi ont eu tendance à retarder le retour à une politique de rigueur, qui a dû alors être d’autant plus dure.

2) Faire financer l’Etat par des subventions de la banque centrale

Le capital d’une banque centrale appartient à l’État (et celui de la BCE appartient aux banques centrales de la zone euro). Les bénéfices qu’elle réalise lui sont reversés sous forme de dividendes ou d’impôt sur les sociétés, après mise en réserve d’une partie d’entre eux.

Quand une banque centrale achète des obligations de l’État et en reçoit des intérêts, l’État en récupère presque tout le montant sous forme de dividendes ou d’impôt sur les sociétés. Le taux d’intérêt des emprunts de l’État à la banque centrale n’a donc aucune importance. Le financement de l’État à taux nul par la banque centrale, ce qui est une forme de subvention (quand les taux sont normalement positifs), n’a pas d’utilité.

Les banques centrales pourraient ne pas se contenter de prêter en grande quantité et à taux bonifié ou nul aux états. Elles pourraient annuler leurs créances sur celui-ci. La dette publique diminuerait alors qu’elle augmente si la banque centrale prête à l’État, même à taux préférentiel. Une annulation de créance se traduit toutefois, comme une subvention, par une dégradation du résultat comptable de la banque centrale avec les mêmes effets qu’un taux d’intérêt préférentiel : réduction à due concurrence des dividendes et de l’impôt sur les sociétés reçus par l’État.

Une annulation massive de créances pourrait avoir un impact bien plus important qu’une simple bonification de taux sur le résultat de la banque centrale et conduire celle-ci à des pertes entraînant finalement une disparition de ses fonds propres. L’Etat serait alors tenu par ses statuts de la recapitaliser et, de nouveau, l’opération serait inutile.

Pour que la banque centrale annule massivement ses créances sur l’État sans que celui-ci la recapitalise, il faudrait qu’elle puisse avoir des fonds propres négatifs et qu’une partie de la monnaie (le passif de la banque centrale) n’ait alors plus de contrepartie (son actif). À l’origine du système bancaire, la contrepartie de la monnaie était le stock d’or de la banque centrale. Celui-ci a ensuite été remplacé par des devises convertibles en or, par un portefeuille de créances sur les banques et récemment par des actifs très variés.

L’étape suivante serait l’absence de toute contrepartie, ce qui n’est pas inimaginable puisque le véritable actif d’une banque centrale est le caractère libératoire de la monnaie qu’elle émet et la confiance de ceux qui l’acceptent. Cette confiance pourrait toutefois s’éroder si la banque centrale allait dans cette direction, ce qui entraînerait une dépréciation de la monnaie par rapport aux devises étrangères avec des effets inflationnistes. Cela pourrait aussi ouvrir la voie à des monnaies privées, notamment des cryptomonnaies.

La problématique de la « monnaie hélicoptère » est très proche, une fois admis que les banques centrales n’ont ni la capacité technique (des fichiers de tous les résidents d’un pays) ni, surtout, la légitimité démocratique pour distribuer elle-même de l’argent aux ménages ou aux entreprises selon leurs propres critères. Elles peuvent seulement accorder une subvention à l’État, sous forme d’annulation de créance par exemple, qui ensuite se charge d’en redistribuer le montant selon la volonté du Parlement, ce qui renvoie aux observations précédentes sur le caractère inutile ou risqué de cette politique.

Il faut enfin noter que cette option est très probablement interdite par les traités et inacceptable par la plupart de nos partenaires au sein de la zone euro.

E) Laisser l’inflation réduire la dette

L’inflation ne se décrète pas et il n’est pas facile de la faire repartir comme l’ont observé plusieurs banques centrales dans les années 2010-2020. Elle est néanmoins souvent présentée comme un moyen efficace pour réduire la dette publique en pourcentage du PIB.

En effet, plus l’inflation est forte plus le PIB en valeur augmente, ce qui tend à faire baisser le ratio dette / PIB. Encore faut-il que la dette n’augmente pas plus vite que le PIB sous l’effet du déficit primaire et de la charge d’intérêt. La formule de calcul du solde primaire stabilisant reste la même.

À moyen terme, les dépenses primaires et les recettes publiques sont presque toutes indexées, de fait ou de droit, sur l’inflation. Le solde primaire en pourcentage du PIB ne varie donc pas alors que le solde primaire permettant de stabiliser la dette diminue. En effet, si le taux d’intérêt apparent de la dette ne change pas, l’écart entre celui-ci et le taux de croissance du PIB diminue. Il est donc plus facile de réduire le ratio dette / PIB.

Si la dette est de 130 % du PIB avec un taux d’intérêt apparent de 3,0 %, une croissance du PIB en volume de 1,0 % et une inflation de 1,0 %, le solde primaire permettant de la stabiliser est un excédent de 1,3 % du PIB (et le déficit public associé est de 2,6 % du PIB).

Le solde primaire stabilisant la dette en % du PIB

Dette

100 % PIB

115 % PIB

130 % PIB

150 % PIB

Inflation 1,0 %

1,0

1,15

1,3

1,5

Inflation 2,0 %

0

0

0

0

Inflation 3,0 %

- 1,0

- 1,15

- 1,3

- 1,5

Source : FIPECO ; taux apparent de la dette de 3,0 % et taux de croissance du PIB en volume de 1,0 %.

Cependant, si l’inflation remonte durablement, les taux d’intérêt à long terme augmenteront également, surtout si la banque centrale relève les taux qu’elle contrôle pour ramener l’inflation vers sa cible.

Il est donc probable que (i-g), dans la formule du solde primaire stabilisant, revienne à son niveau initial au bout de quelques années, ou le dépasse. L’inflation facilite donc la réduction du rapport de la dette publique au PIB, mais temporairement car, une fois (i-g) revenu à son niveau initial, le solde primaire effectif étant inchangé, la dette publique augmente de nouveau en pourcentage du PIB (voir note de ce site sur ce sujet).

Cette facilité temporaire peut inciter le gouvernement à laisser le taux d’inflation augmenter s’il contrôle la politique monétaire, ce qui a conduit à l’hyperinflation dans certains pays. Dans les pays développés, aujourd’hui, les banques centrales sont indépendantes et ont pour mandat de maintenir l’inflation au-dessous de limites précises et il est assez sûr qu’elles voudront le respecter. Malgré leur indépendance, il est toutefois envisageable que la politique monétaire soit « dominée » par les objectifs et contraintes de la politique budgétaire, notamment la nécessité de réduire la dette publique. Sans aller jusqu’à l’hyperinflation, l’inflation pourrait dépasser de beaucoup et pendant longtemps la cible de la banque centrale.

Or l’inflation a des coûts économiques et sociaux importants. Plus elle est forte, plus elle est volatile dans le temps, ce qui accroit l’incertitude pour les ménages et entreprises, et plus elle varie d’un pays à l’autre, ce qui aggrave les écarts de compétitivité. Les inégalités entre ménages sont accrues car ils sont inégalement protégés par des revenus et des patrimoines plus ou moins indexés sur l’inflation. Celle-ci s’accompagne généralement d’une dépréciation de la monnaie nationale, qui elle-même la renforce et réduit le pouvoir d’achat des ménages.

Lorsqu’elle devient trop forte, il faut mener des politiques de désinflation qui sont longues et difficiles, notamment parce qu’elles compliquent la gestion des finances publiques. La France en a fait la dure expérience dans les années 1980.

Une réduction de la dette publique par l’inflation présente enfin des difficultés particulières dans la zone euro. En effet, les pays fortement endettés peuvent vouloir amener la BCE à relever sa cible d’inflation et choisir en conséquence les gouverneurs de leur banque centrale nationale, qui eux-mêmes siègent au conseil des gouverneurs de la BCE, tandis que les autres pays s’y opposeront, notamment l’Allemagne qui garde un très mauvais souvenir de l’hyperinflation des années 1920. Par ailleurs, il est probable qu’une inflation plus forte en moyenne dans la zone euro s’accompagne d’une divergence accrue des taux d’inflation nationaux des pays membres et donc d’écarts de compétitivité plus importants. Les déséquilibres des balances des paiements en seraient renforcés.

F) Européaniser les dettes publiques nationales

Certaines institutions européennes, comme la Banque européenne d’investissement (BEI), ont depuis longtemps la capacité de s’endetter pour prêter aux administrations des pays européens, avec un capital ou des garanties apportés par les pays membres. En 2012, le mécanisme européen de stabilité (MES) a été créé, avec un capital apporté par les pays membres, pour prêter à des pays en difficulté en contrepartie de mesures de redressement de leurs comptes. Dans tous ces cas, il s’agit de prêts.

De nombreux économistes proposent depuis longtemps de donner à l’Union européenne la capacité de s’endetter pour subventionner les pays membres, payer certaines dépenses à leur place ou reprendre une partie de leurs dettes. L’Union pourrait en effet emprunter avec une prime de risque correspondant à peu près à la moyenne des primes de risque des états membres et en faire profiter les états donc la prime de risque spécifique est plus importante.

Ces propositions sont traditionnellement soutenues par la France et les pays du sud de l’Europe et rejetées par les autres, qui craignent un endettement excessif de l’Union ou des pays membres. En effet, la possibilité d’emprunter à un taux relativement faible en profitant de la crédibilité financière d’autres pays peut inciter un pays à augmenter son déficit public, ou à ne pas faire assez d’effort pour le réduire, ce que les économistes appellent un aléa moral.

Les pays du nord et du centre craignent également que les dépenses ainsi financées profitent excessivement aux autres pays. Les débats récurrents sur le budget européen et les « retours » nationaux montrent qu’il est très difficile de trouver des accords sur la répartition de dépenses communes. Enfin, il s’agirait d’une évolution vers une Europe plus fédérale, perspective qui divise fortement les européens.

Malgré l’hostilité de pays dits « frugaux » comprenant notamment les Pays-Bas mais pas l’Allemagne, les chefs d’État et de Gouvernement de l’Union européenne ont pris une décision historique le 21 juillet 2020 avec le lancement du programme Next Generation EU. Celui-ci permet en effet à l’Union européenne de s’endetter à hauteur de 750 Md€ (euros de 2018) pour financer les Etats membres, pour moitié par des prêts et pour moitié par des subventions. Les pays du sud et de l’est de l’Europe en sont les principaux bénéficiaires. Ces emprunts devront être remboursés entre 2028 et 2058, soit par de nouveaux impôts communautaires, soit par les prélèvements annuels de l’Union sur les budgets des Etats membres.

La France et d’autres pays souhaitent que de nouveaux programmes de ce type soient lancés et que les emprunts de l’Union soient remboursés en réempruntant, ce qui éviterait de créer de nouveaux impôts communautaires ou de prélever sur les budgets nationaux. Ce serait en effet souhaitable pour la France dont la dette publique pourrait alors être durablement allégée, mais il est peu probable que les pays du nord et du centre l’acceptent. En juillet 2020, ils ne pouvaient politiquement pas refuser d’aider des pays comme l’Italie qui étaient très durement touchés par une épidémie de Covid dont personne ne voyait la fin. Il n’est pas du tout sûr qu’une telle solidarité se manifeste de nouveau, sauf peut-être pour financer des dépenses militaires et faire face à la menace russe et au désengagement américain.

 

[1] La dette publique est celle de l’ensemble des administrations publiques mais, pour simplifier, on parle souvent de la dette de l’Etat, qui en porte plus de 80 %, dans cette note.

[2] Dans un pays qui peut emprunter dans sa propre monnaie, cette crise financière se traduit par une chute de la valeur de cette monnaie, mais les pays de la zone euro empruntent dans une monnaie (l’euro) qui n’est pas la leur puisqu’elle est partagée par l’ensemble des membres de la zone.

[3] Dette brute consolidée des comptes nationaux retenue par l’OCDE (117 % du PIB fin 2024 pour la France).

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