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FIPECO, le 18.04.2023  

Les fiches de l’encyclopédie                                                          V) Les dépenses publiques

                                                                       

6) Le chiffrage des économies

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Dans le langage courant, une « économie » est réalisée quand une dépense diminue. Appliquées aux finances publiques, cette définition est trop rigoureuse car beaucoup de dépenses augmentent « tendanciellement », c’est-à-dire à politique constante, et des mesures nouvelles, parfois difficiles, doivent être prises pour seulement ralentir leur progression.

Si, par exemple, les règles applicables au calcul des pensions ne sont pas modifiées, les dépenses de retraite augmentent automatiquement en raison notamment de l’augmentation du nombre de retraités et de l’indexation des pensions sur les prix. Pour réduire leur croissance, il faut prendre des mesures législatives nouvelles et il est normal qu’une « économie » soit alors enregistrée même si les dépenses continuent à augmenter.

Plus généralement, une économie est constatée lorsque la croissance d’une dépense est ramenée au-dessous de sa « croissance tendancielle », c’est-à-dire de sa croissance « à politique constante ».

Les techniques d’estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques sont présentées dans une fiche distincte.  Ces estimations sont inévitablement souvent conventionnelles, ce qui fragilise la mesure des économies. Cette définition des économies, comme un écart par rapport à une tendance, est néanmoins plus pertinente que les autres définitions envisageables. Elle est d’ailleurs retenue en France depuis longtemps ainsi que dans l’Union européenne.

Cette fiche présente les méthodes de chiffrage des économies qui sont retenues en France. Une estimation des économies réalisées ou prévues sur les années 2012-2017 est ensuite fournie. Enfin, les autres méthodes d’estimation des économies et les pratiques des autres pays sont indiquées.

A)Les méthodes de chiffrage des économies en France

Les économies sont toujours égales à la différence entre la dépense tendancielle et la dépense constatée après réforme. Les exemples suivants précisent surtout l’exercice (ou les exercices) sur lequel elles sont enregistrées.

1)Premier exemple

Le premier exemple est celui d’une prestation sociale dont le montant est de 100 M€ l’année 0 et dont la croissance tendancielle est de 1,5 % par an, parce que le nombre de bénéficiaires s’accroît et qu’elle est indexée sur l’inflation. Si une réforme permet de ramener sa croissance à 0,5 % mais seulement l’année 1, par exemple en désindexant temporairement cette prestation, une économie de 1,0 M€ est constatée l’année 1 et aucune autre économie n’est constatée les années suivantes. En effet, la règle d’indexation est de nouveau appliquée et il n’y a donc aucune nouvelle économie par rapport à la croissance tendancielle de la dépense. Sur l’ensemble des années 1 à 3, l’économie réalisée s’élève donc à seulement 1,0 M€ bien que les dépenses restent indéfiniment inférieures de 1,0 M€ à leur niveau tendanciel.

Premier exemple de chiffrage d’une économie

Année

0

1

2

3

Dépense tendancielle

100

101,5

103,0

104,5

Dépense après réforme

100

100,5

102,0

103,5

Economie

0

1,0

0

0

2)Deuxième exemple

Si cette mesure d’économie est renouvelée l’année 2, la prestation étant de nouveau désindexée, la séquence est celle du tableau suivant. Une nouvelle économie de 1,0 M€ est constatée l’année 2 et, sur l’ensemble des années 1 à 3, une économie totale de 2,0 M€ est comptée.

Deuxième exemple de chiffrage d’une économie

Année

0

1

2

3

Dépense tendancielle

100

101,5

103,0

104,5

Dépense après réforme

100

100,5

101,0

102,5

Economie

0

1,0

1,0

0

3)Troisième exemple

Cet exemple est celui d’une dépense ayant deux composantes A et B dont les montants sont respectivement de 95 M€ et 5 M€ l’année 0. La croissance tendancielle de chacune d’elles est de 1,5 % par an. Si la composante B est supprimée l’année 1 alors que la composante A est inchangée et continue donc à croître au même rythme, une économie de 5,075 M€ (arrondie à 5,1 Md€) est constatée l’année 1. Sur l’ensemble des années 1 à 3, l’économie est de 5,1 M€.

Troisième exemple de chiffrage d’une économie

Année

0

1

2

3

Dépense tendancielle

100

101,5

103,0

104,5

Dépense après réforme

100

96,4

97,9

99,4

Economie

0

5,1

0

0

4)Quatrième exemple

Si une dépense d’un montant de 100 M€ l’année 0 et de croissance tendancielle 1,5 % est totalement supprimée l’année 1, une économie de 101,5 M€ est constatée l’année 1 puis une économie supplémentaire de 1,5 M€ chaque année ultérieure. Sur l’ensemble des années 1 à 3, l’économie est alors de 104,5 M€. En pratique, cette économie supplémentaire réalisée chaque année au-delà de l’année 1, qui correspond à l’augmentation tendancielle de la dépense en euros, est souvent négligée.

Quatrième exemple de chiffrage d’une économie

Année

0

1

2

3

Dépense tendancielle

100

101,5

103,0

104,5

Dépense après réforme

100

0

0

0

Economie

0

101,5

1,5

1,5

B)Les économies sur la période 2012-2022

La fiche relative à la croissance tendancielle des dépenses montre que le taux en volume de 1,5 % par an (hors crédits d’impôts) retenu par la Cour des comptes en juin 2012 sur la base de travaux de l’inspection générale des finances est une référence pertinente pour la période 2012-2017.

Les économies réalisées pendant les années 2012 à 2017 sur la base de la croissance des dépenses observée par l’Insee (hors crédits d’impôt) et de cette tendance de 1,5 % en volume s’élèvent au total à 36 Md€, ou 45 Md€ si on neutralise l’impact du remboursement de la taxe sur les dividendes en 2017, sur la période 2012-2017. Elles sont seulement de 9 Md€ (18 Md€ hors remboursement de la taxe sur les dividendes) sur les années 2015-2017 pour lesquelles l’objectif avait été fixé à 50 Md€ dans le programme de stabilité déposé par le Gouvernement en avril 2015.

Pour la période 2018-2022, la Cour des comptes a de nouveau conclu à une croissance tendancielle de 1,5 % en volume (hors crédits d’impôts) après une réestimation dans son rapport sur les finances publiques de juin 2017. A cette aune, les économies réalisées en 2018 et 2019 se sont élevées à 31 Md€, ou 22 Md€ hors contrecoup en 2018 du remboursement de la taxe sur les dividendes en 2017.

De 2019 à 2022, les dépenses publiques ont augmenté de 6,0 % en volume mais seulement de 1,9 %, soit 0,6 % par an, si on déduit de celles de 2022 le coût des mesures prises pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire puis de la crise de l’énergie (62 Md€), ce qui correspond à une économie de 40 Md€ sur cette période. Sur l’ensemble des années 2018-2022, les économies sont donc d’environ 60 Md€. Ce chiffrage suppose toutefois que les mesures d’urgence, de relance et de soutien face aux crises sanitaire et énergétique sont temporaires, ce qui est discutable. Les économies réelles sont certainement plus faibles.

C)Les autres méthodes de chiffrage des économies

Une économie est toujours mesurée par rapport à une dépense de référence qui peut être la dépense tendancielle, comme en France, mais aussi la dépense de l’année précédente ou encore la dépense qui résulte de l’application du taux de croissance du PIB à la dépense de l’année précédente. Par ailleurs, quelle que soit la dépense de référence retenue, l’économie peut être chiffrée selon des modalités différentes de celles présentées ci-dessus.

1)Les références autres que la dépense tendancielle

a)La dépense de l’année précédente

Si la référence retenue est la dépense de l’année précédente, il n’y a d’économie que si la dépense diminue. La définition des économies qui en résulte est la plus simple, donne lieu à des chiffrages incontestables et, pour ces raisons, elle est fréquemment retenue dans les entreprises.

Elle conduit toutefois à négliger les efforts nécessaires pour seulement ralentir des dépenses spontanément dynamiques du fait de facteurs qui les font augmenter à politique constante, comme la démographie pour les retraites.

Cette définition conduit aussi à faire apparaître des économies lorsqu’une dépense diminue tendanciellement alors qu’aucun effort n’est nécessaire pour atteindre ce résultat. Si les pensions d’anciens combattants diminuent pour des raisons tenant à leur démographie, il est discutable de considérer qu’il s’agit d’une économie. En tout état de cause, cette économie ne demanderait aucun effort.

b)La dépense résultant de l’application du taux de croissance du PIB à la dépense de l’année précédente

Les économies relatives aux dépenses publiques ont généralement pour objectif de réduire leur montant en pourcentage du PIB. En effet, les dépenses publiques doivent être financées par des prélèvements obligatoires qui, dans une économie ouverte aux échanges internationaux, ne peuvent pas représenter un pourcentage du PIB, c’est-à-dire de la valeur créée chaque année par les agents économiques, beaucoup plus élevé que dans les autres pays.

A un niveau macro-budgétaire, le montant des économies réalisées peut alors être mesuré en multipliant l’écart entre les ratios (dépenses publiques / PIB) des années N et N-1 par le montant du PIB en N. Si ce ratio passe de 50 à 49 % du PIB et si le PIB est de 2 000 Md€, les économies sont de 20 Md€.

Toutefois, les évolutions du ratio (dépenses publiques / PIB) dépendent à la fois de celles du dénominateur (le PIB) et de celles du numérateur (les dépenses). Cette définition peut ainsi conduire à faire apparaître des économies lorsque la croissance du PIB est forte alors même que de nouvelles dépenses sont créées. Inversement, ce ratio peut augmenter dans les phases de ralentissement de l’activité économique alors même que des dépenses sont supprimées.

Il est donc préférable de prendre pour référence la croissance potentielle du PIB, c’est-à-dire sa croissance de moyen terme (sur la durée d’un cycle économique).

Les économies sont alors mesurées, toujours à un niveau macro-budgétaire, en multipliant l’écart entre la croissance potentielle du PIB et la croissance des dépenses publiques par le montant des dépenses. Si la croissance potentielle est de 1,5 % et la croissance des dépenses de 1,0 % et si les dépenses sont de 1 200 Md€, les économies sont de 6 Md€. L’usage est de mesurer à la fois la croissance potentielle du PIB et la croissance des dépenses en volume, l’indice du prix du PIB étant retenu pour transformer les taux de croissance en valeur en taux de croissance en volume.

Les économies ainsi mesurées ont l’avantage d’être égales à la composante relative aux dépenses de « l’effort structurel » et de pouvoir ainsi être reliées à un indicateur essentiel de suivi des finances publiques.

Cependant, l’évolution à politique constante de chaque dépense prise isolément peut être très différente de la croissance potentielle du PIB. Prendre cette référence pour mesurer les économies à un niveau fin n’a pas toujours beaucoup de sens.

2)Les autres modalités de chiffrage des économies

Quelle que soit la référence retenue (tendance de la dépense, montant de l’année précédente, application de la croissance potentielle du PIB au montant de l’année précédente), les modalités de chiffrage des économies peuvent différer de celles exposées au point A.

Le mode de chiffrage présenté au point A met en évidence l’impact de la réforme sur le déficit : dans le premier exemple, cet impact est de 1 M€ et il est imputé sur l’année 1, bien qu’il persiste au cours des années suivantes ; dans le deuxième exemple, il est de 2 M€ et il est réparti entre les années 1 et 2.

Il existe un autre mode de chiffrage qui met en évidence l’impact de la réforme sur la dette publique. Dans le premier exemple, les économies sont alors estimées à 1,0 M€ l’année 1, à   1 M€ de nouveau l’année 2 et 1M€ de nouveau l’année 3, soit 3 M€ au total sur l’ensemble des années 1 à 3. En effet, la dette est réduite de 1 Md€ l’année 1 et de 3 Md€ l’année 3[1] par rapport à la situation de référence.

Si cette dernière modalité de calcul est retenue, l’économie réalisée est de 10 M€ sur les dix premières années et de 100 M€ sur les cent premières, ce qui peut être trompeur. L’économie mesurée dépend en effet de la période prise en compte et il suffit donc de prolonger celle-ci pour faire apparaitre des montants beaucoup plus importants.

D)La pratique dans les autres pays

Les pratiques des autres pays sont très mal connues car la méthode suivie est rarement précisée. Les économies semblent souvent mesurées par rapport à une croissance tendancielle (c’est par exemple le cas au Royaume-Uni) mais celle-ci n’est généralement pas explicitée, du moins dans les documents disponibles sur les sites des organisations internationales comme les programmes de stabilité. Dans certains pays, les économies paraissent mesurées par rapport aux dépenses de l’année précédente ou par rapport à celles qui résulteraient d’une croissance égale à celle du PIB, effectif ou potentiel. En outre, il n’est pas toujours indiqué s’il s’agit d’un impact sur le déficit, comme en France, ou sur la dette[2] (cf. point B).

Il est donc généralement très difficile d’interpréter l’ampleur des plans d’économies annoncés par les gouvernements. Pour apprécier les efforts globalement réalisés selon une méthode harmonisée, la meilleure solution est d’estimer la composante de l’effort structurel relative aux dépenses, mais cela ne permet pas une décomposition mesure par mesure.

Un des règlements du « paquet de six » de 2011 impose aux Etats membres de présenter désormais dans leurs programmes de stabilité une trajectoire de finances publiques fondée sur une évolution des dépenses « à politique inchangée », par rapport à laquelle les économies peuvent être mesurées.

La Commission européenne consacre un chapitre de son rapport de décembre 2016 sur les finances publiques dans l’Union européenne à cette question. Pour les dépenses comme pour les recettes, elle distingue un « scénario de référence » (« baseline »), qui correspond à l’évolution à politique constante de cette fiche et s’appuie en partie sur l’estimation d’une « tendance » (« trend »), d’une part, et des « mesures de politique budgétaire » (« fiscal policy measures »), d’autre part. En ajoutant au scénario de référence les mesures de politique budgétaire qui sont suffisamment détaillées et dont la mise en œuvre est suffisamment assurée, elle détermine « l’évolution à politique inchangée » (« no policy change assumption ») qui est systématiquement prise en compte dans ses prévisions de finances publiques. Dans ce rapport de décembre 2016, elle présente une série de principes de construction du scénario de référence et d’estimation des impacts des mesures de politique budgétaire.

L’évolution des dépenses à politique inchangée qui figure dans les programmes de stabilité de la France suppose que les règles de la loi de programmation en vigueur, comme l’ONDAM ou les normes de dépenses de l’Etat, sont nécessairement respectées. La Commission européenne ne les prend en compte dans ses propres prévisions à politique inchangée que si elles lui semblent suffisamment crédibles.

Cette croissance « à politique inchangée » des dépenses au sens de la réglementation européenne est différente de la croissance tendancielle des dépenses « à politique constante » qui est présentée dans le même programme de stabilité à quelques pages d’intervalle.

 

[1] Dans le deuxième exemple, l’économie est alors de 1 M€ l’année 1 puis de 2 M€ l’année 2 et de 2 M€ à nouveau l’année 3, soit un total de 5 M€ sur les années 1 à 3, ce qui correspond à l’impact sur la dette l’année 3.

[2] Aux Etats-Unis, il s’agit souvent d’un impact sur la dette publique.

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