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FIPECO le 23.10.2018

Les notes d’analyse                                         VIII) Assurances sociales et redistribution

10) Faut-il créer un système universel de retraites ?

         François ECALLE

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Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a annoncé que la réforme des retraites aurait pour objet de « rendre le système de retraite plus juste et plus transparent, pour qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous ». Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites a présenté le 10 octobre 2018 un constat de la situation actuelle et les grands principes du système universel qui pourrait être mis en place.

Un régime de retraite se caractérise par une population ayant une activité particulière, les règles de calcul des pensions dont cette population peut bénéficier et leurs modalités de financement et de gestion.

A)Les constats dressés par le Haut-Commissaire sont pertinents

Une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 recense 25 régimes de base obligatoires de sécurité sociale. Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2016 fait apparaitre une dizaine de régimes de retraite complémentaires obligatoires dont l’un, l’organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales, est en fait composé d’une caisse nationale et de 10 sections professionnelles qui gèrent chacune un régime complémentaire. Il existe deux régimes de fonctionnaires, le premier pour les agents de l’Etat et le deuxième pour les agents territoriaux et hospitaliers, gérés par des organismes différents bien qu’ils versent des prestations identiques, sans distinction entre pensions de base et complémentaires.

1)Le coût de gestion de la fragmentation des régimes

Les coûts de gestion des régimes de retraite sont très mal connus et mesurés par chacun avec des méthodes différentes, comme l’a montré la Cour des comptes à propos des régimes de fonctionnaires. Elle a néanmoins observé que la création d’une caisse unique de retraite des fonctionnaires pourrait entraîner une économie de 23 % du coût actuel (environ 200 M€).

L’AGIRC et l’ARRCO, qui vont bientôt fusionner, sont des fédérations regroupant 17 institutions de retraites complémentaires disposant d’une certaine autonomie pour des raisons historiques. Selon un autre rapport de la Cour des comptes, cette segmentation est à l’origine de nombreux doublons qui, avec d’autres facteurs comme le niveau des rémunérations, expliquent un coût de gestion (environ 2,0 Md€) supérieur de 20 % à celui du régime général à périmètre d’activités comparable. 

2)Le manque de transparence et d’équité du système

Les règles de calcul des cotisations et des pensions sont généralement différentes d’un régime à l’autre et le même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension. En outre, bien souvent, ces règles sont complexes et le lien entre cotisations et pensions est très distendu, à la fois du fait d’avantages « non contributifs » (ne reposant pas sur des cotisations) spécifiques à chaque régime et du financement de la plupart des régimes par des ressources pour partie autres que les cotisations sociales (des impôts pour l’essentiel).

En conséquence, les justifications des différences entre régimes sont peu convaincantes et l’importance des avantages indus dont pourraient bénéficier certaines catégories sociales donne lieu à des polémiques récurrentes. Les « régimes spéciaux » et notamment ceux des fonctionnaires sont au cœur de débats permanents alors que la mesure de leur degré relatif de générosité est en pratique très difficile. 

Si elles ont été rapprochées depuis 2003, de nombreuses différences subsistent entre les règles relatives aux pensions des fonctionnaires et des salariés du secteur privé. Les principales portent sur le salaire de référence, pour l’ensemble des fonctionnaires, et sur l’âge de départ, pour ceux des catégories dites « actives ». Seul le salaire de référence est ici examiné (pour une analyse complète du régime des fonctionnaires, voir la note qui lui est consacrée).

Le salaire de référence est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu de la moyenne des 25 meilleures années (retraite de base) et de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé ; ce salaire de référence, de même que l’assiette des cotisations sociales, exclue les primes dans les régimes de fonctionnaires alors que tous les éléments de rémunération sont pris en compte dans le secteur privé. Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés, mais ces derniers ont des retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO), contrairement aux fonctionnaires, ce qui porte en pratique leur taux plein également aux alentours de 75 %.

Le taux effectif de remplacement des derniers salaires par la pension versée au moment de la liquidation peut différer fortement du taux plein légal puisqu’il dépend également du mode de calcul du salaire de référence. Tous les travaux réalisés jusqu’à présent conduisent néanmoins au même taux de remplacement (environ 75 %), en moyenne, du salaire net des cinq années précédant la retraite par la pension nette, après une carrière complète dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Les fonctionnaires sont avantagés par la règle des six derniers mois mais pénalisés par l’exclusion des primes.

Cette égalité du taux moyen de remplacement, malgré des règles très différentes, est un effet du hasard. Elle masque d’ailleurs d’importantes disparités, notamment en fonction du taux de prime des fonctionnaires, qui est très variable d’un corps et d’un ministère à l’autre. Si les règles du privé étaient appliquées aux fonctionnaires partant aujourd’hui en retraite, la moitié environ y gagnerait et l’autre moitié y perdrait, ces gains et pertes pouvant être très importants (plus de 15 % de la pension), ce qui rendrait une telle mesure très difficile à mettre en œuvre.

Le taux de remplacement moyen va nettement baisser d’ici à 2070 dans les régimes de retraite du secteur privé (cf. fiche), notamment parce que la règle des 25 meilleures années induit un décalage de plus en plus fort entre le salaire à la date de la retraite et le salaire de référence qui détermine la pension (les salaires des 25 meilleures années étant actualisés en fonction de la seule hausse des prix à la consommation). A taux de prime inchangé, le taux de remplacement baissera en revanche peu dans le secteur public, la règle des six derniers mois protégeant les fonctionnaires contre l’effet de l’indexation des salaires pris en compte.

3)Un impact négatif sur le fonctionnement du marché du travail

Les changements de statut professionnel sont de plus en plus fréquents. Les passages par le chômage et les contrats courts sont devenus la norme pour près d’un actif sur cinq. La part des contrats à durée limitée (CDD et intérim) dans les recrutements atteint 86 %. Cette précarité et ces discontinuités dans les parcours professionnels touchent notamment les jeunes, les séniors et les moins qualifiés. Le travail indépendant connait par ailleurs un renouveau depuis quelques années sous l’effet du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de l’aspiration à l’autonomie mais aussi de la recherche d’emplois et de revenus lorsque le taux de chômage est élevé. D’un autre côté, les fonctionnaires vivent dans un univers professionnel quasiment fermé aux transferts entre les secteurs public et privé.

En raison de la rapidité de diffusion des nouvelles technologies et des restructurations du tissu économique qu’elles imposent, ainsi que des aspirations à des parcours professionnels plus diversifiés, il est souhaitable de favoriser les transitions professionnelles d’un secteur et d’un statut à l’autre. Or la segmentation des régimes de protection sociale fait obstacle à ces transitions. Même si les droits à pension acquis successivement dans ces différents régimes au cours de la vie active s’additionnent pour l’essentiel, le fait qu’ils soient calculés différemment et gérés par des organismes différents constitue un obstacle à la connaissance et à l’anticipation de ces droits et donc au changement de statut.

B)Les grands principes de la réforme envisagée sont satisfaisants

Les défauts du système actuel et les principes de fonctionnement d’un régime universel sont analysés dans un document de janvier 2015 de D. Blanchet, A. Bozio et S. Rabaté.

1)Un régime universel en répartition

Le régime universel devrait couvrir toute la population, indépendamment du statut ou de l’activité professionnelle. Comme il n’est pas imaginable de transformer totalement les régimes par répartition actuels en régimes par capitalisation, car une génération serait alors forcément sacrifiée, ce régime universel fonctionnerait forcément en répartition.

Le Haut-Commissaire prévoit néanmoins d’asseoir les cotisations sur les revenus d’activité dans la limite de 3 fois le plafond de la sécurité sociale alors que les salaires sont pris en compte jusqu’à 8 fois ce plafond par l’AGIRC. Un espace un peu plus grand sera donc laissé à la constitution d’une épargne retraite en capitalisation pour les hauts revenus.

2)La fin de la distinction entre régimes de base et complémentaires

La distinction entre des régimes obligatoires de base et complémentaire résulte d’une sédimentation historique, n’a aucun intérêt et n’existe pas dans la plupart des autres pays[1]. En conséquence, les régimes complémentaires actuels devront être fondus dans le régime universel, ce qui suppose que l’Etat en prenne le contrôle alors qu’ils sont gérés paritairement par les partenaires sociaux[2].

3)Un régime par points

Il existe trois grands modèles de fonctionnement d’un régime de retraite en répartition : les régimes « par annuités », où la pension à la liquidation est un pourcentage d’un salaire de référence modulé par le nombre d’années de cotisations validées (c’est le cas du régime général) ; les régimes « par points », où les cotisations servent à acheter des points et où la pension dépend du nombre de points accumulés et de leur « valeur de service » (cas des régimes AGIRC et ARRCO) ; les régimes « en comptes notionnels », où la valeur en euros des cotisations accumulées est convertie en pension par un « coefficient de conversion » dépendant de l’espérance de vie au moment de la retraite (de tels régimes ont été mis en place dans certains pays, notamment en Scandinavie).

Les régimes par points et en comptes notionnels sont préférables car ils permettent d’établir le lien le plus clair entre les cotisations payées et les pensions reçues et ainsi de respecter le principe selon lequel chaque euro cotisé donne le même droit à pension pour tous. Dans un régime par annuités, certaines cotisations ne sont pas prises en compte.

4)Un taux de cotisation identique pour les salariés et fonctionnaires sur la totalité du salaire

Dans le secteur concurrentiel, on peut considérer que la rémunération avant tout prélèvement correspond à la productivité du travail (c’est-à-dire la valeur que les consommateurs lui donnent en achetant le produit de ce travail). Les cotisations de retraite amputent cette rémunération et constituent donc un sacrifice de la part du travailleur, salarié ou non, qui a pour contrepartie l’obtention d’une pension à l’issue de sa vie professionnelle. Il est équitable que cette contrepartie soit la même et qu’un euro de cotisation donne droit à la même pension pour tous. Le taux de cotisation peut différer, notamment entre salariés et non-salariés, mais les pensions attribuées en contrepartie sont alors ajustées en proportion.

Dans le secteur public, les rémunérations, cotisations sociales comprises, sont financées par des prélèvements obligatoires et non par la vente de biens et services sur un marché concurrentiel. Elles peuvent être très différentes de la productivité du travail. En conséquence, les cotisations, même salariales, ne constituent pas nécessairement un sacrifice réalisé par les fonctionnaires au regard de leur productivité.

Dans le futur système universel, l’Etat pourrait très bien augmenter le nombre de points de ses agents en relevant le taux de ses cotisations d’employeur et en finançant ce relèvement par une hausse de la TVA ou de tout autre impôt[3]. Le principe selon lequel un euro de cotisation donne droit à la même pension pour tous serait alors dévoyé.

Il faut que le taux de cotisation des fonctionnaires, des salariés et employeurs, soit identique à celui des salariés du secteur privé. Ce principe a été retenu par le Haut-Commissaire.

5)Des avantages non contributifs attribués par un fonds de solidarité financé par l’impôt

Dans les régimes actuels, de nombreux avantages non-contributifs (c’est-à-dire non liés à des cotisations) majorent les pensions (majoration pour enfants ou validation des périodes de chômage dans le calcul du nombre de trimestres cotisés, par exemple). Après un examen de leur utilité, ils pourront être maintenus dans le cadre du système universel à condition d’être attribués sans lien avec un statut professionnel.

A ce principe retenu par le Haut-Commissaire, il faudrait ajouter que ces avantages non contributifs devraient être clairement distingués des avantages contributifs et, à cette fin, prendre la forme de points supplémentaires attribués par un fonds de solidarité qui devrait être lui-même financé par l’impôt.

C)Conclusion

Les constats dressés par le Haut-Commissaire sont pertinents. En effet, cette fragmentation du système de retraite, qui entraîne des coûts de gestion inutiles, constitue un obstacle à la mobilité professionnelle et un facteur d’injustice sociale dans la mesure où un même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension selon l’activité professionnelle. En outre, il est difficile de caractériser les régimes selon leur degré de générosité, ce qui entretient des polémiques récurrentes.

Les grands principes retenus par le Haut-Commissaire sont satisfaisants. Il est en effet souhaitable de créer un régime universel par répartition, à la fois de base et complémentaire, dans lequel les cotisations payées tout au long de la vie professionnelle seraient converties en points, avec la même valeur d’achat pour tous, qui seraient eux-mêmes convertibles en une pension. Les cotisations et les pensions devraient être calculées sur la base de la rémunération totale, primes incluses, et le taux de cotisation devrait être identique pour les fonctionnaires et les salariés du secteur privé. Des points gratuits devraient néanmoins pouvoir être attribués par un fonds de solidarité pour tenir compte de certaines situations particulières.

 

[1] Dans la plupart des pays, il y a une retraite minimale financée par l’impôt, un premier étage public et obligatoire en répartition et un deuxième étage privé et différent selon les branches en capitalisation.

[2] Les régimes complémentaires en capitalisation, comme celui de la fonction publique, devraient toutefois être maintenus et développés pour créer, comme dans les autres pays, un étage complémentaire vraiment différent.

[3] Il pourrait aussi augmenter les cotisations salariales en relevant les salaires bruts grâce à une hausse d’impôt.

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