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FIPECO le 23.11.2020

Les notes d’analyse                         III) Programmation et pilotage des finances publiques

3) Comment améliorer les lois de finances et de financement de la sécurité sociale ?

             François ECALLE

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Le pouvoir du Parlement en matière de finances publiques s’exerce principalement par l’adoption de deux grandes catégories de lois : les lois de finances, qui concernent l’Etat, et les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).

La présente note montre que le champ des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pourrait être élargi et que l’articulation de ces lois financières entre elles et avec les budgets des collectivités locales pourrait être améliorée. Ces analyses et propositions sont proches de celles qui ont été formulées par la Cour des comptes dans son rapport de novembre 2020 sur la gouvernance des finances publiques.

La frontière entre les domaines respectifs des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale pourrait en outre être réexaminée dans une perspective plus large et plus lointaine visant à mieux distinguer les fonctions d’assurance et de solidarité de la protection sociale, comme le recommande une note de janvier 2016 du conseil d’analyse économique.

A) Etendre le champ des lois financières

1) Une loi de financement de la protection sociale obligatoire

Les LFSS ne couvrent pas les régimes sociaux qui ont pour origine des conventions collectives nationales, à savoir le régime d’indemnisation du chômage et les régimes de retraite complémentaire, alors que ce sont des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale. Le gouvernement peut certes refuser d’agréer les accords passés par les partenaires sociaux, ce qui prive leurs dispositions de caractère obligatoire, mais il a toujours été difficile de refuser cet agrément.

Le champ des LFSS devrait être étendu aux ressources et dépenses de ces organismes, ce qui en ferait des « lois de financement de la protection sociale obligatoire ». S’agissant des régimes conventionnels, ces lois présenteraient un cadre financier, établi en concertation avec ces régimes, sous forme de prévisions de recettes et de dépenses cohérentes avec les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques. L’agrément des accords serait lié au respect de ce cadre financier.

2) Etendre le champ des missions budgétaires dans les lois de finances

Les crédits des programmes et missions budgétaires ne recouvrent pas l’ensemble des moyens mobilisés par l’Etat pour mettre en œuvre une politique publique. Il faut y ajouter les dépenses fiscales, les taxes affectées à des opérateurs, les crédits de comptes spéciaux, des « prélèvements sur recettes », voire les crédits de fonds sans personnalité juridique gérés par des tiers pour le compte de l’Etat. Les gestionnaires des programmes budgétaires ne maîtrisent pas tous ces moyens et ne peuvent donc pas être responsables des résultats obtenus ; l’information sur ces politiques est insuffisante, même si les projets et rapports annuels de performance décrivent une partie de ces moyens, et les indicateurs de performance peuvent en conséquence avoir une signification limitée. Une telle fragmentation de l’architecture budgétaire est spécifique à la France.

Comme le propose la Cour des comptes dans son rapport de novembre 2020, il faudrait que les missions budgétaires recouvrent l’ensemble des moyens affectés à une politique publique et que le débat parlementaire porte sur cet ensemble. Les différentes catégories de moyens affectés à une politique publique relèvent toutefois de modes de gestion différents, parfois par des personnes morales autres que l’Etat (opérateurs par exemple). Si la plupart des crédits budgétaires peuvent être limitatifs, les dépenses fiscales ne peuvent être en générales qu’évaluatives. Les enveloppes consacrés à ces différentes catégories de moyens au sein d’une même mission ne seraient donc pas fongibles et l’autorisation du Parlement n’aurait pas la même signification pour chacune : un plafond strict pour les crédits budgétaires, une évaluation pour les dépenses fiscales ou les taxes affectées aux opérateurs.

Comme recommandé dans une autre note de ce site, il faudrait également supprimer certains comptes spéciaux, les fonds sans personnalité juridique ainsi que les prélèvements sur recettes et fusionner leurs crédits avec ceux des missions du budget général qui ont le même objet.

B) Revoir l’articulation des lois financières

1) Un calendrier laissant plus de temps pour l’examen des résultats

La « logique de performance » qui est au cœur de la LOLF repose en principe sur une autonomie des « responsables de programmes », dans le cadre des objectifs et des moyens qui leur sont assignés, ayant pour contrepartie leur responsabilisation sur la base des résultats obtenus. Encore faudrait-il que le Parlement examine ces résultats. Or, le temps consacré par les assemblées parlementaires à l’examen des textes financiers se compte en dizaines d’heures pour la loi de finances initiale et se comptait en heures pour la loi de règlement jusqu’en 2018.

S’agissant des lois de financement de la sécurité sociale, une logique de performance semblable a été introduite avec notamment les « programmes de qualité et d’efficience ». Cependant, les comptes et les résultats de la gestion de l’année N-1 sont présentés en octobre de l’année N dans la LFSS de l’année N+1 et l’essentiel du travail parlementaire porte sur l’exercice N+1.

Le projet de LFSS pour N+1 déposé en octobre N propose également au Parlement une actualisation de la LFSS pour N sur laquelle s’appuient les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses pour N+1. En revanche, le projet de LFI pour N+1 ne propose pas au Parlement d’actualiser la LFI pour N et, même si l’exposé des motifs présente des recettes et dépenses « révisées » pour N, les comparaisons se font plus souvent avec la LFI pour N-1.

Un calendrier plus logique serait le suivant.

Le Parlement examinerait en avril ou mai, en y consacrant plus de temps qu’aujourd’hui, les comptes et les résultats de l’exercice N-1, en approuvant les lois de règlement aussi bien pour la sécurité sociale que pour l’Etat. Une évolution dans ce sens a eu lieu en 2018 avec l’instauration d’un « printemps de l’évaluation parlementaire » consistant à examiner beaucoup plus attentivement les résultats de la gestion du budget de l’Etat au cours de l’année précédente. Il reste à étendre ce dispositif aux lois de financement de la sécurité sociale. En juin, le Parlement examinerait également, si nécessaire, un projet de loi de finances rectificative, éventuellement de LFSS rectificative, pour l’année N.

Il débattrait en juillet des orientations des finances publiques, sur la base des résultats de l’exercice N-1 et des recommandations de l’Union européenne formulées sur la base du programme de stabilité transmis en avril.

Il examinerait le projet de loi de programmation des finances publiques, le cas échéant, en septembre puis, sur une période ramassée du 15 octobre au 15 décembre, les lois de finances et de financement de la sécurité sociale qui porteraient à la fois sur les exercices N (volet « rectificatif ») et N+1. Il ne serait alors plus nécessaire de faire voter un « collectif » en décembre.

2) Un débat parlementaire unique sur les volets recettes des lois de finances et de financement

Les impôts et taxes affectés aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale représentent 37 % de leurs ressources en 2019, dont 16 % hors CSG et autres contributions sociales. Le remplacement récent de cotisations sociales salariales par la CSG et des cotisations patronales supprimées en substitution du CICE par une fraction de la TVA a renforcé l’imbrication des prélèvements obligatoires affectés à l’Etat et à la sécurité sociale. En outre, les mesures nouvelles relatives aux cotisations sociales ont un impact sur le rendement de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés en raison de leur déductibilité de l’assiette de ces impôts.

Comme proposé par la Cour des comptes, il faudrait que les parlementaires aient au moins d’abord un débat sur l’ensemble des recettes, fiscales et sociales, pour assurer la cohérence des mesures envisagées. Ils pourraient ensuite voter les ressources spécifiques de l’Etat, d’une part, et de la sécurité sociale, d’autre part, conformément aux dispositions constitutionnelles qui prévoient des procédures distinctes pour les lois de finances et les LFSS.

3) Une mission unique regroupant tous les concours de l’Etat aux collectivités locales

Les concours financiers de l’Etat aux collectivités locales sont éclatés et donnent lieu à des débats parlementaires et à des votes séparés. Ils se trouvent dans une mission budgétaire « relations avec les collectivités territoriales », la mission « remboursements et dégrèvements » (pour ce qui concerne les dégrèvements d’impôts locaux pris en charge par l’Etat), d’autres missions du budget général, les prélèvements sur recettes et certains comptes spéciaux comme celui qui finance les aides à l’électrification dans les communes rurales.

Il existe certes une « annexe jaune » au projet de loi de finances sur les concours financiers aux collectivités territoriales mais la lisibilité des documents budgétaires serait meilleure si tous ces concours étaient rassemblés dans une même mission et si cela évitait de réduire les recettes fiscales du montant des prélèvements sur recettes et des dégrèvements d’impôts locaux, ce qui n’a aucun sens.

Le budget triennal de l’Etat inclut dans la loi de programmation des finances publiques comprendrait ainsi une projection sur trois ans des concours financiers de l’Etat aux collectivités locales, ce qui permettrait aux parlementaires et aux représentants des élus locaux de discuter les conditions dans lesquelles les collectivités locales contribuent aux objectifs de finances publiques recommandés par l’Union européenne.

C) Distinguer les fonctions d’assurance et de solidarité de la protection sociale

1) Une distinction nécessaire

La protection sociale recouvre deux types de prestations : les premières, dans une logique d’assurance, remplacent des revenus d’activité qui ne peuvent plus être perçus ; les deuxièmes, dans une logique de solidarité, permettent à tous les citoyens d’accéder à des services en fonction de leurs besoins.

Les pensions de retraite et les allocations de chômage relèvent de la première catégorie ; les dépenses d’assurance maladie, les prestations familiales et les allocations de logement relèvent de la deuxième.

Dans une logique d’assurance, dite également « contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur les revenus d’activités qu’elles remplacent, ce qui est la caractéristique principale des cotisations sociales. Dans une logique de solidarité, ou « non contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur l’ensemble des revenus, comme la CSG, ou payés par l’ensemble des ménages, comme la TVA, ce qui caractérise les « impositions de toute nature » prévues par la Constitution.

Cette distinction a d’importantes conséquences économiques, comme le rappelle la note précitée du conseil d’analyse économique. Si les actifs considèrent que les cotisations prélevées sur les revenus de leur travail leur donnent l’assurance de revenus de remplacement futurs en cas de perte de leur travail, ils peuvent accepter plus facilement aujourd’hui une perte de leur pouvoir d’achat ; étant considérées comme un « salaire différé », les cotisations sociales, qu’elles soient « salariales » ou « patronales », accroissent alors relativement peu le coût du travail pour les employeurs.

En revanche, les actifs acceptent plus difficilement que les revenus de leur travail soient amputés pour financer des prestations universelles, qui ne leur sont donc pas particulièrement destinées. La pression exercée par les prélèvements obligatoires à la hausse sur le coût du travail est alors plus forte.

Une étude économétrique publiée en juin 2017 par l’institut des politiques publiques corrobore la pertinence de cette distinction s’agissant de l’impact des cotisations sociales.

Par ailleurs, les régimes de retraite fonctionnent en principe en France par répartition, ce qui signifie que les pensions versées aux retraités d’aujourd’hui doivent être financées par les cotisations des actifs d’aujourd’hui. En contrepartie, ces actifs doivent être assurés de recevoir à leur retraite une pension en rapport avec leurs cotisations. L’équilibre des régimes par répartition est brouillé et le « lien social » qu’ils créent entre les générations est distendu si les cotisations financent trop d’éléments de solidarité et si les prestations sont financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat qui sont elles-mêmes financées par l’impôt.

2) Une distinction devenue beaucoup moins claire

A l’origine, la sécurité sociale a été conçue en France sur un modèle d’assurance. Les prestations étaient financées par des cotisations sociales dont elles dépendaient fortement, au moins dans la mesure où le paiement de cotisations était une condition nécessaire pour en bénéficier.

Les prestations de l’assurance maladie et les prestations familiales ont ensuite été rendues universelles, dans une logique de solidarité. Le financement de l’assurance maladie a été en partie adapté avec la création de la CSG en substitution des cotisations sociales salariales, mais pas totalement puisque les cotisations sociales patronales ont été maintenues. Le financement des prestations familiales a été encore moins réformé.

Le lien entre cotisations et prestations a également été distendu avec le déplafonnement des cotisations d’assurance maladie puis les allégements de cotisations sur les bas salaires.

Enfin, de multiples dispositions ont introduit des éléments de solidarité dans tous les régimes : revenus de remplacement minima, majoration des prestations en fonction de la situation familiale, de l’existence de handicaps….

Une clarification a été opérée s’agissant de l’assurance chômage, « l’allocation d’aide au retour à l’emploi » qui relève de l’assurance étant versée par l’Unedic et financée par des cotisations alors que « l’allocation de solidarité spécifique » est versée par l’Etat et financée par l’impôt. La création du fonds de solidarité vieillesse (FSV) permet également d’isoler certaines des prestations de retraite qui relèvent d’une logique de solidarité (validations de trimestres au titre des périodes de chômage par exemple) et de les financer par l’impôt (la CSG principalement). Enfin, le financement des allocations de logement a été récemment transféré de la sécurité sociale à l’Etat.

Il reste que les prestations familiales et les dépenses d’assurance maladie sont encore financées par des cotisations sociales, surtout patronales, pour une grande partie, que les cotisations de retraite financent des dépenses de solidarité et que les pensions des régimes de base sont en partie financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat.

3) Revoir la frontière entre les lois de finances et de financement de la sécurité sociale

Le projet de révision de la frontière entre les lois de finances et de financement de la sécurité sociale présenté ci-dessous doit être seulement considéré comme une cible à long terme, dont il conviendrait seulement de ne pas trop s’écarter.

a) Transférer à l’Etat les dépenses relevant de la solidarité

Les prestations sociales relevant d’une logique de solidarité devraient être financées par l’impôt et donc par l’Etat dans le cadre des lois de finance. Cela concerne les prestations familiales, dans la continuité du transfert des allocations de logement, et les dépenses d’assurance maladie.

Ces dépenses continueraient à être versées dans les mêmes conditions qu’actuellement par les caisses de sécurité sociale concernées et seuls changeraient les circuits de financement. Les multiples « tuyaux budgétaires » qui conduisent le produit de divers impôts prélevés par l’Etat à l’ACOSS seraient remplacés par des transferts directs du budget général aux caisses nationales. En sens inverse, la CSG serait prélevée par l’Etat qui en conserverait le produit[1], sans nécessairement la fusionner avec l’impôt sur le revenu.

Les transferts de l’Etat aux caisses des branches famille et santé seraient budgétés pour être égaux aux objectifs de dépenses de ces branches et un déficit de ces branches en exécution devrait être compensé sur l’exercice suivant. Cette « étatisation » du financement de la branche famille ne retirerait aucun pouvoir réel aux partenaires sociaux, ce pouvoir appartenant déjà de fait à l’Etat. S’agissant de la branche maladie, il permettrait une meilleure coordination entre la médecine de ville, qui relève plutôt des caisses de sécurité sociale, et l’hôpital, qui est plutôt sous le contrôle de l’Etat.

Les cotisations sociales affectées aux branches famille et maladie, qui sont surtout patronales, seraient remplacées par des impôts, surtout la TVA, la CSG et l’impôt sur le revenu compte-tenu de la masse de cotisations en jeu (environ 6 points de PIB). Cette substitution, de même ampleur que celle de la CSG aux cotisations salariales dans les années 1990, ne pourrait être que progressive. Dans une période de transition, les caisses seraient financées à la fois par les cotisations actuelles, par l’intermédiaire de l’ACOSS, et par des transferts de l’Etat permis par une hausse progressive des taux de la TVA, de la CSG ou de l’impôt sur le revenu.

b) Réserver les cotisations sociales au financement des assurances sociales

Les lois de financement de la sécurité sociale seraient transformées en lois de financement des assurances sociales obligatoires en étendant leur champ aux régimes de retraite complémentaire et à l’assurance chômage et en retirant de ce champ les branches famille et santé. Ces dernières auraient des transferts de l’Etat pour seules ressources alors que les branches retraite et chômage seraient seulement financées par des cotisations sociales.

Tous les régimes de retraite, de base et complémentaires, devraient entrer dans le champ de ces nouvelles lois de financement, y compris celui des fonctionnaires de l’Etat actuellement géré par un service de la direction générale des finances publiques du ministère des finances dans le cadre budgétaire et comptable d’un « compte d’affectation spéciale ».

Les dépenses de solidarité des régimes de retraite et chômage pourraient continuer à être financées comme actuellement soit directement par l’Etat (allocation de solidarité spécifique), soit par le FSV (validation de trimestres pour les chômeurs…) qui lui-même serait financé soit par des impôts affectés, soit par des transferts de l’Etat. Le périmètre du FSV devrait être étendu à toutes les dépenses relevant de la solidarité, y compris les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires[2].

 

[1] L’ACOSS pourrait continuer à la prélever sur les salaires et revenus de remplacement et la reverserait à l’Etat, de la même façon que celui-ci la prélève actuellement sur les revenus du capital pour la reverser à l’ACOSS.

[2] Au début des années 2000, le coût de ces allègements de charges sur les bas salaires était ainsi financé par un fonds spécial.

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