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02/06/2016

Situation de l'assurance chômage et réformes

                                 

François ECALLE

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Le régime d’assurance chômage a un déficit structurel de l’ordre de 2 Md€ et il faudrait diminuer ses dépenses de plus de 2 Md€ pour réduire durablement son endettement et contribuer au rééquilibrage des comptes des administrations publiques. Le niveau de ses dépenses se rapprocherait alors de celui des autres pays européens. Rétablir la dégressivité des allocations serait une solution favorable à l’emploi pour y parvenir. En maintenant constant le montant total des prélèvements affectés à l’Unédic, une taxation significative des licenciements économiques et des CDD pourrait être envisagée en contrepartie d’un allégement des contrôles administratifs et judiciaires sur les licenciements économiques.

Il est assez peu probable que la négociation en cours de la prochaine convention d’assurance chômage par les partenaires sociaux débouche sur des réformes substantielles. Il n’en demeure pas moins utile de préciser les enjeux financiers de cette négociation et de définir des orientations pour que les futures réformes de l’assurance chômage soient favorables au développement de l’emploi.

A)   Réduire d’au moins 2 Md€ le déficit structurel de l’assurance chômage

Le résultat des comptes de l’Unédic est particulièrement sensible à la conjoncture économique. En effet, ses recettes dépendent fortement, de l’activité économique, comme celles des autres administrations publiques ; en outre, ses dépenses en sont aussi très dépendantes, ce qui est beaucoup moins le cas de celles des autres administrations.

Pour apprécier correctement la situation financière du régime d’assurance chômage, il est donc particulièrement nécessaire de corriger son résultat annuel pour tenir compte de la conjoncture économique et de calculer son « solde structurel ». S’agissant de l’Unédic, la méthode suivie est présentée dans la fiche de l’encyclopédie relative à l’assurance chômage.

Le graphique suivant présente à la fois les soldes effectifs et structurels de l’Unédic depuis 1990. Au cours des années 1999 à 2007, le déficit structurel a été très important, ce qui a été en partie masqué par une conjoncture favorable. L’activité économique a toutefois été insuffisante pour compenser ce déficit structurel et pour empêcher le solde effectif d’être le plus souvent déficitaire et l’endettement de s’accroître.

Un redressement important a été opéré à la fin des années 2000 mais la récession de 2008-2009 a entraîné une forte dégradation du résultat effectif. Depuis 2010, le déficit structurel de l’Unédic est compris entre 1 et 2 Md€. Le PIB étant inférieur à son potentiel, le déficit effectif est encore plus important. En conséquence, les dettes de l’Unédic ont vraisemblablement dépassé 30 Md€ en 2015 (elles approchaient ce montant fin 2014).

Source : Unédic, rapport de juin 2015 sur les perspectives financières, corrigé pour tenir compte des résultats de l’Unedic en 2015 (estimations de l’Unédic de février 2016) et de la croissance du PIB en 2014 et 2015 publiée par l’Insee en mai 2016 ; FIPECO.

La France s’est engagée auprès de ses partenaires européens à ramener les comptes des administrations publiques structurellement à l’équilibre avant la fin de la décennie, ce qui constitue le seul moyen pour réduire durablement la dette publique. L’Unédic, classée parmi les administrations publiques en comptabilité nationale, doit y contribuer, ce qui est également le seul moyen de réduire durablement son endettement. Compte-tenu de la fragilité de la mesure du solde structurel, l’effort de redressement des comptes de l’Unédic devrait être, par prudence, d’au moins 2 Md€.

B)   Réduire les allocations de plus de 2 Md€

La France est au deuxième rang de l’OCDE pour le taux de ses prélèvements obligatoires, ce qui nuit à la compétitivité de ses entreprises et à l’attractivité de son territoire. En outre, les ressources de l’Unédic sont surtout constituées de cotisations sociales qui pèsent sur le coût du travail au détriment de l’emploi. Le redressement des comptes de l’Unédic ne doit donc pas passer par une hausse des cotisations mais par une baisse de ses dépenses.

Les comparaisons internationales montrent que les dépenses d’indemnisation du chômage sont plus importantes en France que dans les autres pays européens, ce qui n’est pas le cas des dépenses consacrées aux « politiques actives sur le marché du travail » et plus particulièrement des dépenses de fonctionnement du service public de l’emploi.

Il ne faut donc pas de réduire la subvention de l’Unédic à Pôle Emploi (3,2 Md€), l’accompagnement des chômeurs devant plutôt être renforcé, mais les allocations de chômage, qui sont beaucoup plus importantes (31,0 Md€ pour l’allocation de retour à l’emploi).

Les comparaisons internationales montrent également que les paramètres de calcul de ces allocations sont plutôt plus favorables aux demandeurs d’emploi français, notamment à ceux qui ont un salaire de référence élevé ou, au contraire, faible, en raison des montants importants des allocations maximale et minimale.

Les paramètres de calcul des allocations de chômage en Europe en 2016

 

 

France

 

Allemagne

Royaume-Uni

Italie

Durée indemnisation maximale

24 mois

24 mois

6 mois

24 mois

Taux indemnisation

57 à 75 %

60 à 67 %

Forfait 99 € par semaine

75 % et dégressif de 3 % par mois après 4 mois

Indemnité mensuelle minimale

857 €

Aucune

Aucune

Aucune

Indemnité mensuelle maximale

7 230 €

2 559 €

Sans objet

1 300 €

 

Espagne

 

Belgique

Suède

Danemark

Durée indemnisation maximale

24 mois

Illimitée

10 mois

24 mois

Taux indemnisation

70 % sur 6 mois puis     50 %

65 % sur 3 mois puis dégressif jusqu’à un minimum au bout de 48 mois

Forfait 39 € par jour

90 % salaire de référence

Indemnité mensuelle minimale

497 € sans enfant

513 € sans enfant

Aucune

Aucune

Indemnité mensuelle maximale

1 087 € sans enfant

1 623 €

2 610 €

2 464 €

Source : Unedic FIPECO.

C)    Examiner le rétablissement de la dégressivité des allocations

La « dégressivité » caractérise des indemnités de chômage dont le montant, pour un demandeur d’emploi, diminue dans le temps. Le système actuel d’indemnisation du chômage présente une certaine forme de dégressivité dans la mesure où « l’allocation d’aide au retour à l’emploi » (ARE) est versée par l’Unédic pendant une durée égale à la durée de cotisations et au maximum pendant deux ans. Le chômeur reçoit ensuite de l’Etat sous certaines conditions, notamment de ressources, « l’allocation de solidarité spécifique » (ASS) dont le montant est plus faible.

Avant 2001, les allocations versées par l’Unédic étaient elles-mêmes dégressives. Après une période d’indemnisation au « taux plein », variable selon la durée de cotisation, le taux d’indemnisation était réduit tous les six mois de 15 ou 17 points. Une fois les indemnités d’assurance chômage ramenées à zéro, le demandeur d’emploi basculait éventuellement, comme aujourd’hui, dans le régime de solidarité géré par l’Etat en recevant l’ASS.

Dans un article publié en 2011, S. Lollivier et L. Rioux ont procédé à une évaluation empirique de l’impact des modalités d’indemnisation sur le taux de sortie du chômage vers l’emploi en France dans les années 1990, notamment de l’impact de cette dégressivité. Les autres études sur ce sujet sont soit théoriques, soit empiriques mais plus anciennes.

Cet article montre d’abord que le taux de sortie du chômage vers l’emploi diminue avec le temps passé au chômage alors que les offres d’emplois reçus par les chômeurs ne diminuent pas significativement ; en revanche, les salaires proposés baissent rapidement. Une interprétation est que les entreprises sont prêtes à recruter des chômeurs de plus longue durée, mais à un niveau de salaire plus faible, sans doute parce que cette durée plus longue constitue un signal négatif de leur employabilité. Les chômeurs refusent toutefois une proportion de plus en plus forte d’offres parce que les salaires proposés sont de plus en plus faibles au regard des indemnités qu’ils peuvent continuer à recevoir.

Les auteurs évaluent l’impact d’une suppression de la dégressivité des allocations sur le comportement des chômeurs et leur durée de chômage. Il en ressort que la durée moyenne du chômage augmenterait de 5 % (de 17 % pour le quartile des chômeurs les mieux indemnisés). La réforme de 2001 a donc eu pour effet, en supprimant la dégressivité, d’accroître la durée de chômage. Il faudrait donc rétablir cette dégressivité pour les inciter à accepter plus rapidement les emplois qui leur sont offerts. La dégressivité est un substitut, qui pourrait être plus efficace, au contrôle des actes de recherche des demandeurs d’emplois

Il n’est certes pas toujours souhaitable que les chômeurs acceptent vite une offre d’emploi, car elle risque de ne pas correspondre à leurs compétences et à leurs souhaits, mais la durée moyenne du chômage en France (environ 570 jours[1]) n’est certainement pas trop courte.

La dégressivité pénaliserait plus les personnes les moins qualifiées dans la mesure où les entreprises demandent moins de travail peu qualifié et où ces personnes ont donc plus de difficultés pour trouver un emploi. Il faudrait donc accompagner l’éventuel rétablissement de la dégressivité par un renforcement de l’accompagnement de ces demandeurs d’emplois et par une plus forte modération du coût du travail non qualifié.

D)   Envisager la taxation des licenciements économiques et des CDD en contrepartie d’un allégement des contrôles

1)    Les licenciements économiques et les CDD ont des effets externes négatifs

En licenciant pour motif économique des salariés en contrat à durée indéterminée ou en mettant fin à des contrats à durée déterminée (CDD), les entreprises font supporter un coût à la collectivité, au salarié qui perd son emploi bien entendu mais aussi aux autres salariés et aux autres entreprises qui doivent cotiser pour financer ses indemnités de chômage et le soutien apporté par les services de l’emploi. Le licenciement économique et l’utilisation des CDD entraînent ainsi ce que les économistes appellent des « externalités négatives ».

Les licenciements économiques sont néanmoins indispensables pour que les entreprises s’adaptent aux changements technologiques, à l’évolution de la demande de leurs clients et à la concurrence, tout en dégageant des marges suffisantes pour que leurs actionnaires continuent à investir. Ils sont souvent une condition de la survie future des entreprises, même lorsque leur situation financière est encore bonne. Les CDD sont tout aussi nécessaires pour qu’elles ajustent leurs capacités de production à une demande temporaire et/ou fluctuante.

2)    Les magistrats et fonctionnaires n’auront jamais une information suffisante pour prendre la responsabilité d’accepter ou refuser des licenciements économiques

La tradition française a toujours été de limiter par la loi les conditions dans lesquelles des licenciements économiques sont possibles et d’en confier le contrôle à l’administration ou au juge, plutôt l’un ou plutôt l’autre selon les époques. Actuellement le licenciement économique est limité par le code du travail aux suppressions ou transformations d’emplois ou modifications du contrat de travail, refusées par le salariés, « consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». En outre, le licenciement pour motif économique d'un salarié « ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national, dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie ».

La Cour de cassation admet en outre qu’une réorganisation rendue nécessaire par la « sauvegarde de la compétitivité » constitue également un motif valable de licenciement économique. Le projet de loi dit El Khomri intègre cette jurisprudence dans la loi et définit des critères de difficultés économiques, comme une baisse du chiffre d’affaires sur une certaine période.

Ces dispositions sont trop restrictives dans la mesure où il est souvent préférable qu’une entreprise n’attende pas de connaître des « difficultés économiques », qu’elle qu’en soit la définition, pour ajuster ses effectifs.  La compétitivité doit être en permanence améliorée et pas seulement sauvegardée.

Surtout, aucun contrôleur extérieur à l’entreprise, qu’il soit magistrat, fonctionnaire ou consultant privé, ne peut avoir les connaissances nécessaires pour apprécier correctement le bien-fondé d’un licenciement économique et les possibilités de reclassement au sein d’un groupe. Pour prendre la responsabilité d’accepter ou de refuser des licenciements économiques, il faut connaître parfaitement l’entreprise et son environnement ce qui est hors de portée d’un auditeur externe, quel que soit son statut et ses compétences.

Pour les mêmes raisons, les « asymétries d’information », le contrôle des prix a toujours échoué et l’inflation a été maîtrisée en France lorsque l’administration, dans les années 1980, a arrêté de contrôler les prix.

3)    La taxation des licenciements économiques et de l’utilisation des CDD est envisageable en contrepartie d’un allègement des contrôles

Les économistes retiennent quatre instruments pour lutter contre les externalités négatives: la réglementation, la taxation, la subvention et les marchés de droits. Lorsque l’information est limitée, la taxation est le plus efficace.

Les Etats-Unis appliquent depuis très longtemps ce principe à l’assurance chômage avec ce qu’ils appellent « experience rating ». Les caisses d’assurance chômage y tiennent pour chaque entreprise un compte où sont créditées ses cotisations et débitées les indemnités versées à ses anciens salariés au chômage. Si ce compte est excédentaire (ce qui est le cas si elle garde ses salariés), son taux de cotisation est réduit ; s’il est déficitaire (parce qu’elle licencie beaucoup), son taux est majoré. Les coefficients de minoration et de majoration sont encadrés par un minimum et un maximum.

Comme le rappelle une note de septembre 2015 du conseil d’analyse économique, la plupart des études réalisées sur ce système de « bonus-malus » montrent qu’il contribue à réduire le chômage et l’utilisation de contrats de courte durée. La part des embauches sur des contrats de moins de trois mois est de 32 % aux Etats-Unis alors que la part des embauches sur des contrats de moins d’un mois est de 70 % en France (hors intérim).

La mise en place d’un tel système en France prendrait du temps, notamment pour que le rating des entreprises repose sur des historiques de données suffisamment longs et pour résoudre certaines difficultés techniques. Par exemple, il faudrait faire en sorte que la faillite d’une entreprise, éventuellement frauduleuse, n’entraîne pas l’arrêt des cotisations, ce qui est possible avec des mécanismes d’assurance obligatoire comme il en existe d’ailleurs déjà en France pour le paiement des salaires, mais encore faudrait-il les développer.

C’est notamment pour de telles raisons que O. Blanchard et J. Tirole ont proposé en 2003 de mettre seulement en place une taxe sur les licenciements économiques. Elle pourrait être assise en pratique sur les allocations dues par l’assurance chômage en début d’indemnisation et s’ajouter aux indemnités de licenciement versées par l’entreprise concernée aux salariés. Ces deux économistes recommandaient de remplacer les autorisations administratives et judiciaires, y compris sur les plans de reclassement, par cette taxe.

Une telle taxe aurait pour effet d’aggraver la situation des entreprises en difficulté qui sont obligées de réduire leurs effectifs et c’est pourquoi le malus est plafonné dans le système américain. Pour éviter cet effet indésirable, la taxe pourrait également être limitée au coût supporté aujourd’hui en moyenne par les entreprises lorsqu’elles procèdent à de tels licenciements. L’avantage pour elles résiderait dans la prévisibilité de ce coût alors que le coût aujourd’hui imposé par les décisions administratives ou judiciaires est largement imprévisible.

Depuis le 1er juillet 2013, le taux des contributions sociales patronales à l’assurance chômage est majoré pour les CDD de moins de trois mois, ce qui va dans le sens des propositions précédentes mais pas assez loin. D’une part, la majoration est plus faible dans les secteurs où les contrats courts sont les plus fréquents (les « CDD d’usage »). D’autre part, les CDD courts n’entraînent pas nécessairement des coûts plus élevés que les CDD plus longs et les licenciements économiques pour l’assurance chômage. Ceux-ci devraient donc aussi être taxés.

Il est donc envisageable d’aller vers une extension de ces taux majorés à l’ensemble des CDD et vers la création d’une taxe sur les licenciements économiques, assises sur le montant des indemnités de chômage, en contrepartie de l’allègement des contrôles de l’administration ou du système judiciaire sur le motif et les conditions des licenciements économiques[2]. Ces nouvelles ressources seraient affectées à l’assurance chômage en contrepartie d’une baisse des cotisations, le montant total des ressources affectées à l’Unédic étant maintenu constant. A plus long terme, il faudrait étudier la création d’un système du type experience rating.

 

[1] Ancienneté moyenne des demandeurs d’emploi des catégories A, B et C.

[2] Définis comme des licenciements dont le motif est indépendant de la personne licenciée.

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