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16/05/2018

Les taxes affectées

François ECALLE

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L’affectation d’impôts et taxes à des dépenses particulières par l’intermédiaire d’une entité juridique ad hoc est une revendication souvent formulée par les administrations ou les groupes d’intérêt. Les Echos ont ainsi récemment fait état d’un projet de création d’un établissement public « Routes nationales de France » financé par l’affectation d’une partie des taxes prélevées sur le secteur routier (édition du 03.05.2018).

Il n’y a pas de définition claire, juridique ou économique, des taxes affectées mais un inventaire annuel, inévitablement incertain faute de définition claire, dans un rapport annexé au projet de loi de finances. Il s’agit, de manière générale, d’impôts (que la Constitution distingue des cotisations sociales) ou de contributions que la loi ou un texte réglementaire rendent obligatoires sans qu’il s’agisse toujours pour autant d’impôts au sens juridique ou de prélèvements obligatoires au sens économique. Ces impôts et contributions sont affectés à des organismes autres que l’Etat et qui ne sont pas toujours des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale. Par exemple, les contributions des entreprises au financement des organismes en charge de la formation professionnelle, qui ne sont pas des administrations publiques, sont des taxes affectées sans être pour autant des impôts ou des prélèvements obligatoires.

Ce billet porte sur les taxes affectées à des organismes autres que les administrations sociales et les collectivités locales ou leurs groupements.

Il faut distinguer les justifications qui peuvent être avancées d’abord pour créer de tels organismes et ensuite pour leur affecter une taxe. Le principal avantage d’une taxe affectée est d’améliorer le consentement à cet impôt si ses redevables considèrent que les activités de l’organisme qu’il finance sont utiles. Il ne faut pas pour autant multiplier les organismes ad hoc financés par des taxes prélevées sur les catégories de contribuables qui approuvent ou bénéficient de leur action.

L’affectation de taxes à des organismes autres que l’Etat est en effet contraire au principe budgétaire d’universalité. Elle limite le pouvoir du Parlement de voter les dépenses publiques, alors que c’est une de ses fonctions essentielles, et permet à l’administration de contourner les règles budgétaires qu’il établit. En théorie, le taux de la taxe pourrait être ajusté aux dépenses nécessaires mais, en pratique, soit le produit de la taxe est trop élevé et des dépenses inutiles sont réalisées, soit il est trop faible et des missions nécessaires ne sont pas correctement remplies. La multiplication des taxes affectées est enfin un facteur de complexification et d’alourdissement du coût de gestion de la fiscalité.

Ces nombreux inconvénients des taxes affectées ont conduit le législateur à mieux les encadrer, à travers notamment le plafonnement du produit de certaines d’entre elles. Après une augmentation de 50 % entre 2007 et 2014, leur montant a nettement diminué en 2015 et 2016. Il reste néanmoins environ 145 taxes affectées à des organismes autres que les administrations sociales et les collectivités locales, dont le rendement total était de 37 Md€ en 2016, une dizaine d’entre elles rapportant moins de 500 000 €.

La loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 exclut l’affectation de taxes à des organismes autres que les administrations sociales et locales, mais prévoit des exceptions dont la justification n’est pas très convaincante. Il convient donc de continuer à budgétiser les taxes actuellement affectées et, surtout, de ne pas en créer de nouvelles.

A)L’affectation de taxes a beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages

1)Des avantages limités

De nombreux impôts prélevés par l’Etat sont affectés à des « opérateurs » ou des « agences » qui exercent des missions de service public pour son compte. La création de ces organismes permet en principe, mais pas toujours, de mieux remplir ces missions pour plusieurs raisons : les parties prenantes peuvent être associées à leur gouvernance ; leurs administrateurs peuvent être indépendants de l’Etat, ce qui est parfois souhaitable ; les opérateurs peuvent être exemptés de certaines obligations qui s’imposent à l’Etat (recrutement de fonctionnaires, par exemple) ; ils peuvent mettre en place des instruments tels qu’une comptabilité analytique permettant de rendre leur action plus transparente ; ils peuvent enfin recevoir le produit de taxes qui leur sont affectées.

L’affectation de taxes à un opérateur n’est cependant pas nécessaire. Beaucoup d’entre eux sont financés par des subventions de l’Etat et leur légitimité repose sur une gouvernance particulière ou une gestion plus souple que celle d’un ministère. Un organisme bénéficiant d’une taxe affectée n’est pas non plus nécessairement un opérateur. Beaucoup d’organismes non contrôlés par l’Etat bénéficient de taxes affectées, comme les collectivités locales ou des entités privées gérées par des organisations syndicales.

S’agissant d’autorités indépendantes, des ressources autonomes apportées par des taxes affectées peuvent être considérées comme une condition de leur indépendance, mais cette condition n’est ni nécessaire ni suffisante. L’indépendance de ces autorités repose surtout sur les mandats non révocables et non renouvelables de leurs membres.

Il faut donc distinguer les justifications qui peuvent être avancées pour créer un opérateur de l’Etat, ou toute autre entité publique, et pour lui affecter une taxe.

L’amélioration du consentement à l’impôt est le principal argument avancé pour justifier l’affectation d’une taxe. En effet, si une taxe est affectée, par l’intermédiaire d’un organisme ad hoc, au financement de dépenses que les redevables de cette taxe considèrent comme utiles, elle est plus facilement consentie qu’un impôt finançant indistinctement toutes les dépenses de l’Etat, y compris donc des missions que ces mêmes redevables jugent illégitimes.

Il est certain que des taxes affectées sont mieux acceptées mais cet argument peut conduire à une fragmentation excessive de l’action publique en multipliant les organismes ad hoc chargés de missions particulières et financées par ceux qui considèrent que leurs activités sont utiles, au détriment de la cohésion globale et de l’intérêt collectif. Plus concrètement, les taxes affectées ont de nombreux inconvénients qui l’emportent généralement sur les avantages d’un meilleur consentement à l’impôt.

2)Des inconvénients importants

Parmi les grands principes budgétaires qui se trouvent notamment dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), figure le « principe d’universalité » qui recouvre deux règles : selon la première, il ne doit pas y avoir de « compensation » entre recettes et dépenses ; selon la deuxième, il ne doit pas y avoir « affectation de recettes » à des dépenses particulières.

La LOLF prévoit certes des exceptions à ce principe : les comptes spéciaux, les budgets annexes et les fonds de concours ont pour objet de permettre une affectation de recettes à des dépenses particulières. En outre, elle précise que « l’affectation totale ou partielle, à une autre personne morale d’une ressource établie au profit de l’Etat ne peut résulter que d’une disposition de loi de finances ». Ce principe, dont les justifications sont politiques et économiques, est néanmoins essentiel et les exceptions doivent être limitées.

L’affectation de taxes à un organisme autre que l’Etat retire en effet au Parlement le pouvoir de voter les dépenses publiques ainsi financées, en violation de l’article 14 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Le Parlement décide certes lui-même cette affectation et peut, en principe, la remettre en cause, ou modifier les paramètres de la taxe, à tout moment. En pratique, il le fait très rarement.

L’affectation de taxes à un organisme autre que l’Etat est souvent un moyen de « sanctuariser » des dépenses, c’est-à-dire de leur faire échapper aux contraintes résultant des normes budgétaires, que le Parlement vote avec les lois de programmation des finances publiques, ou de la régulation budgétaire infra-annuelle, que le Parlement ratifie à travers les lois de finances rectificatives et la loi de règlement. Le bénéfice de taxes affectées peut également donner une autonomie excessive à des organismes publics placés en principe sous les contrôle de l’Etat. Les bénéficiaires de taxes affectées devraient passer des contrats d’objectifs et de moyens avec l’Etat mais, en réalité, ces contrats sont souvent inexistants ou caducs.

Si le taux de la taxe peut en théorie être fixé lors de son affectation de telle sorte qu’elle soit égale au montant des dépenses économiquement justifiées de l’organisme ainsi financé, il n’y a aucune raison pour que l’évolution de ces dépenses et celle du produit de la taxe, à législation constante, soient ensuite identiques. En conséquence, soit le produit de la taxe est trop élevé et cet organisme est incité à réaliser des dépenses inutiles, soit il est trop faible et des missions nécessaires ne sont pas correctement remplies. En théorie, le taux de la taxe pourrait être ajusté chaque année aux dépenses nécessaires, mais la pratique est de nouveau différente. Ce taux est rarement modifié, ce qui répond d’ailleurs souvent à un besoin de prévisibilité exprimé par les contribuables.

La multiplication de taxes spécifiques affectées à des dépenses particulières est enfin un facteur de complexification de la fiscalité. Le rendement d’une grande partie de ces taxes est faible et leur coût de gestion est excessif (Cf. le  rapport de l’inspection générale des finances, qui montre que ce coût de gestion est parfois supérieur au produit de la taxe).

B)Après un rapide développement, les taxes affectées sont mieux maîtrisées

1)Un fort développement visant à contourner les règles budgétaires

Le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a publié un rapport sur les taxes affectées en 2013 où il recensait 309 impôts et taxes autres que la CSG, la CRDS et le forfait social qui étaient affectés à des organismes autres que les collectivités locales[1]. Leur produit était au total de 121 Md€ en 2013.

Sur un périmètre constant (taxes présentes sur toute la période), il notait que ce produit avait augmenté en moyenne annuelle de 6,3 % de 2007 à 2011, contre 1,7 % pour le total des prélèvements obligatoires. Sur un champ restreint aux opérateurs de l’Etat, sa croissance avait été de 4,5 % par an, contre 1,2 % pour les dépenses budgétaires.

Le CPO concluait de son rapport que « le récent foisonnement des taxes affectées…s’explique principalement par le souhait de contourner les contraintes budgétaires, traduisant ainsi des phénomènes de débudgétisation ». La principale de ces contraintes était la norme de croissance nulle en volume des crédits budgétaires instaurée en 2004. Le CPO appelait à une réaffirmation du principe d’universalité budgétaire et à une rebudgétisation progressive de toutes les taxes affectées, à l’exception de celles qui s’apparentent à de quasi-redevances pour services rendus, de celles qui répondent à une logique de mutualisation sectorielle (mise en commun de recherche et développement par exemple) ou de celles qui correspondent à des primes versées à un fonds d’assurance (contre les catastrophes naturelles par exemple).

2)De nouveaux instruments de pilotage

La loi de finances pour 2012 a instauré un plafonnement du produit de certaines taxes affectées à des organismes autres que les administrations publiques locales et sociales. Le plafond est en principe fixé de sorte à être égal aux ressources nécessaires pour que l’organisme considéré remplisse correctement ses missions. Si le produit de la taxe dépasse ce plafond, le surplus est reversé à l’Etat et, si des surplus importants sont constatés chaque année, le taux de la taxe est en principe abaissé. La somme de ces plafonds est ajoutée depuis 2013 aux crédits encadrés par la norme budgétaire dite désormais « de dépenses pilotables de l’Etat ».

En loi de finances pour 2012, il y avait 46 taxes affectées et ainsi plafonnées et la somme de leurs plafonds était de 3 Md€. Ce dispositif a ensuite été progressivement étendu et il couvrait 84 taxes dont les plafonds faisaient un total de 9,0 Md€ en loi de finances pour 2018.

3)Une meilleure maîtrise des taxes affectées

Le graphique suivant a été construit à partir des données figurant dans les rapports sur les « voies et moyens » annexés aux projets de loi de finances, en retenant les taxes affectées à des organismes autres que l’Etat, les collectivités locales ou leurs groupements et les administrations de sécurité sociale. Ce périmètre diffère de celui des 309 taxes recensées par le CPO en 2013 (cf. ci-dessus) car ce dernier comprend des taxes affectées au sein du budget de l’Etat (budgets annexes et comptes spéciaux) et à des organismes de sécurité sociale (les impôts autres que CSG, CRDS et forfait social).

Source : rapports sur les voies et moyens annexés aux PLF ; FIPECO ; taxes affectées à des entités autres que l’Etat, les collectivités locales ou leurs groupements et les administrations de sécurité sociale ; données d’exécution sauf pour le versement transports (prévisions pour 2016 du PLF 2017)

Malgré le dispositif de plafonnement, le produit des taxes affectées a continué à fortement croître jusqu’à 2014, mais son augmentation résulte pour beaucoup de la montée en charge de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Une forte diminution a été observée en 2015 et 2016 mais, s’agissant de 2016, elle tient surtout à la budgétisation de la CSPE. Si cette dernière est exclue, on observe une augmentation de 50 % de 2007 à 2014 suivie d’une diminution de 18 % en cumul sur 2015-2016.

Cette inflexion devrait se poursuivre, plus modérément, puisque le projet de loi de finances pour 2018 prévoit que le produit des taxes affectées aux organismes autres que les collectivités locales ou leurs groupements et les administrations sociales passe de 29,4 Md€ en 2016 à 30,6 Md€ en 2017 et 28,1 Md€ en 2018.

C)Les taxes affectées sont encore trop nombreuses et globalement trop lourdes

Selon le rapport sur les voies et moyens annexé au projet de loi de finances pour 2018, le produit des taxes affectées a atteint 249,5 Md€ en 2016, dont 173,8 Md€ pour les administrations de sécurité sociale et 46,3 Md€ pour les collectivités locales et leurs groupements.

Sur les 29,4 Md€ de taxes affectées à des organismes autres que les administrations sociales et les collectivités locales ou leurs groupements en 2016, figurent 13,1 Md€ affectés aux organismes divers d’administration centrale (4,9 Md€ pour les opérateurs de l’Etat et 8,2 Md€ pour les organismes contrôlés par l’Etat sans en être des opérateurs), 4,4 Md€ à des organismes publics locaux autres que les collectivités locales et leurs groupements (chambres consulaires…) et 11,9 Md€ à des entités classées hors des administrations publiques, notamment les organismes de collecte des taxes affectées à l’apprentissage ou à la formation professionnelle (7,5 Md€).

Pour une raison inexpliquée, le montant du versement transports est « non disponible » dans ce rapport et non compris dans les totaux précédents. Si la prévision pour 2016 indiquée dans le PLF 2017 est reprise (7,4 Md€), les taxes affectées à des organismes autres que les collectivités locales ou leurs groupements et les administrations de sécurité sociale se sont élevées à 36,8 Md€ en 2016, dont 11,8 Md€ pour les organismes locaux autres que les collectivités locales et leurs groupements.

Le rapport annexé au PLF 2018 recense environ 70 taxes affectées à des opérateurs de l’Etat, 20 affectées à d’autres organismes divers d’administration centrale (ODAC), 10 affectées à des organismes locaux autres que les collectivités locales et leurs groupements et 45 affectées à des organismes classés hors des administrations publiques, soit un total d’environ 145[2]. Une dizaine d’entre elles avaient un rendement inférieur à 500 000 € en 2016.

S’inspirant des conclusions du rapport du CPO, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 exclut l’affectation de taxes à des tiers autres que les collectivités locales ou leurs groupements et les organismes de sécurité sociale à l’exception de celles qui « présentent une logique de quasi redevance », de celles qui correspondent à la mutualisation d’activités au sein d’un secteur d’activité et des contributions à des fonds d’indemnisation ou d’assurance.

Ces exceptions au principe d’universalité ne sont pas très convaincantes et le rapport annexé au projet de loi de finances ne précise d’ailleurs pas pourquoi les taxes qui restent affectées relèvent de quasi-redevances ou financent la mise en commun d’actions au sein d’un secteur d’activité plutôt que des subventions.

En effet, la notion de quasi-redevance est floue : soit la contribution visée correspond à un service rendu au redevable que celui-ci est libre de payer ou non et c’est une redevance, soit elle ne correspond à aucun service individualisable ou revêt un caractère obligatoire et c’est une taxe. Si des activités doivent être mises en commun au sein d’un même secteur d’activité parce qu’elles ont des effets externes positifs, elles doivent être financées par des subventions de l’Etat mais pas nécessairement par des taxes affectées.

Il conviendrait donc de continuer à budgétiser les taxes actuellement affectées et, surtout, de ne pas en créer de nouvelles.

 

[1] Mais en y incluant les taxes affectées à des budgets annexes ou comptes spéciaux au sein du budget de l’Etat.

[2] Ces comptages sont approximatifs car le rapport annexé au PLF classe les taxes par organismes bénéficiaires et certaines taxes sont affectées à deux organismes ou plus.

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