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24/01/2023

Les règles budgétaires proposées par la Commission européenne

François ECALLE

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La Commission européenne a publié le 9 novembre 2022 une communication sur les orientations à donner à la réforme de la gouvernance économique de l’Union européenne. Le présent billet résume et commente les propositions de la Commission relatives aux règles budgétaires. Il laisse de côté celles qui concernent la procédure relative aux « déséquilibres macroéconomiques » en notant seulement que la Commission souhaite la renforcer et mieux l’articuler avec la procédure relative aux « déficits publics excessifs ».

La Commission ne propose pas de modifier les traités, ni la définition du déficit et de la dette publics retenue pour appliquer ces procédures, ni les « valeurs de référence » de 3 % et 60 % du PIB, ce qui est compréhensible. Elle propose d’adapter la vitesse de retour vers ces valeurs de référence à la situation spécifique des pays qui les dépassent, ce qui est économiquement pertinent. Ce retour vers les valeurs de référence reposerait sur un plafonnement annuel des dépenses publiques, nettes des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires, pendant une période d’ajustement assez longue ce qui est également pertinent.

La fixation de ces objectifs de dépenses et leur suivi s’appuieraient toutefois sur des analyses techniques très complexes et les règles budgétaires européennes ne seraient pas vraiment simplifiées. Il n’est pas certain qu’elles soient mieux acceptées dans les pays très endettés et les sanctions envisagées ne sont pas plus crédibles que celles déjà prévues par les règles actuelles.

Cela étant dit, il n’est pas sûr que des règles à la fois économiquement pertinentes, facilement compréhensibles, politiquement acceptables et juridiquement compatibles avec les traités puissent être définies. Les propositions de la Commission méritent donc d’être soutenues en dépit de leurs faiblesses.

La France discutera avec ses partenaires ces propositions qui recentrent les règles budgétaires sur une programmation pluriannuelle des dépenses publiques alors même qu’aucune loi de programmation des finances publiques n’a été votée pour les années 2023 et suivantes. La crédibilité de ses contre-propositions en sera fortement réduite.

A) Les objectifs à long terme

1) Les propositions de la Commission

L’objectif à long terme est d’assurer la soutenabilité des dettes publiques et la durabilité de la croissance économique dans le cadre des traités actuels que la Commission ne propose pas de modifier : le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), dont l’article 126 enjoint aux Etats membres d’éviter les « déficits publics excessifs », et le traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire, qui fixe notamment un objectif à moyen terme de solde structurel proche de zéro.

La Commission ne propose pas non plus de modifier le protocole 12 annexé au TFUE qui définit le déficit et la dette publics visés à l’article 126 du traité et fixe leurs « valeurs de référence » à 3 % et 60 % du PIB.

Elle préfère utiliser les éléments de flexibilité offerts par l’article 126 du TFUE et par le TSCG. Le premier précise que, si le rapport de la dette publique au PIB est supérieur à sa valeur de référence, ce ratio doit « diminuer suffisamment et s’approcher de la valeur de référence à un rythme satisfaisant ». Il stipule aussi que, si le rapport du déficit au PIB est supérieur à sa valeur de référence, ce ratio doit « diminuer de manière substantielle et constante et atteindre un niveau proche de la valeur de référence ». Quant au TSCG, il ne précise pas à quel horizon l’objectif à moyen terme de solde structurel doit être atteint.

La Commission propose d’adapter le rythme de réduction du déficit et/ou de la dette à la situation de chaque pays alors que les règles inscrites aujourd’hui dans le pacte de stabilité et de croissance[1]  sont uniformes : la dette doit être réduite chaque année d’au moins un vingtième de l’écart entre son niveau l’année précédente et 60 % du PIB ; le déficit structurel[2] doit diminuer chaque année d’au moins un demi-point de PIB.

La Commission propose de répartir les pays membres de l’Union dans trois groupes en fonction de son diagnostic sur la soutenabilité de leurs finances publiques : les pays à endettement faible, modéré et substantiel.

Pour les pays dont l’endettement public est substantiel, l’objectif serait de placer la dette et le déficit, au terme d’une période d’ajustement de quatre ans et pendant les dix années suivantes, sur une trajectoire caractérisée, à politique inchangée, par un déficit inférieur à 3 % du PIB et une dette qui diminue continument.

Pour les pays dont l’endettement public est modéré, l’objectif serait de placer : la dette, au terme d’une période d’ajustement de sept ans (au lieu de quatre ans) et pendant les dix années suivantes, sur une trajectoire caractérisée, à politique inchangée, par une baisse continue ; le déficit, au terme d’une période d’ajustement de quatre ans, sur une trajectoire où il reste, à politique inchangée, au-dessous de 3 % du PIB. Autrement dit, les pays à endettement modéré auraient un peu plus de temps pour mettre leur dette sur une pente descendante.

Pour les pays dont l’endettement public est faible, l’objectif serait de placer le déficit, au terme d’une période d’ajustement de sept ans, sur une trajectoire où il reste au-dessous de 3 % du PIB.

Les Etats membres pourraient demander une période d’ajustement plus longue pour placer leurs finances publiques sur une trajectoire soutenable, jusqu’à trois ans de plus, à condition de s’engager à faire des réformes et/ou des investissements permettant d’améliorer la soutenabilité de leur dette publique et de contribuer à atteindre les objectifs généraux de l’Union européenne (transition énergétique…) ou de répondre à des recommandations spécifiques à ces pays (concernant par exemple leurs déséquilibres macroéconomiques).

Pour s’assurer de la plausibilité de ces trajectoires de déficit et de dette au-delà de la quatrième ou de la septième année, la Commission s’appuiera non seulement sur ses prévisions d’évolution du solde structurel primaire (maintenu constant à partir de la quatrième ou de la septième année) et sur ses prévisions macroéconomiques à long terme mais aussi sur une analyse de l’impact et de la probabilité de chocs pouvant concerner les taux d’intérêt, la croissance nominale du PIB, les recettes et dépenses primaires, les taux de change etc.

2) Commentaires

Une révision des traités actuels étant très difficile, il est compréhensible que la Commission propose une réforme à traités inchangés.

Elle aurait pu proposer de modifier le protocole 12 annexé au TFUE, même si l’unanimité des Etats membres est nécessaire, soit pour changer la définition du déficit et de la dette publics retenue pour appliquer l’article 126, soit pour relever les seuils de 3 % et 60 % du PIB.

La dette publique retenue dans ce protocole, et donc à l’article 126, diffère en effet de la dette des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale. De nouvelles corrections par rapport à cette dernière sont souvent proposées dans les débats publics, notamment pour en déduire certains actifs favorables au développement économique et social ou à la lutte contre le changement climatique. La liste des actifs et des dépenses ayant théoriquement un impact favorable à la réalisation de ces objectifs est toutefois illimitée et la Commission a raison de ne pas s’engager sur cette voie qui pourrait conduire à vider les règles budgétaires de tout contenu.

Les seuils de 3 % et 60 % du PIB pour le déficit et la dette publics n’ont pas de justification économique, mais tous autres seuils seraient tout aussi conventionnels que 3 % et 60 % et à la fois trop stricts pour les uns et trop laxistes pour les autres. On peut donc comprendre que la Commission ne s’engage pas non plus sur cette voie.

La seule solution qui reste, et qui est retenue par la Commission, est alors de différencier selon les pays la vitesse à laquelle ils doivent converger vers une trajectoire considérée comme soutenable, à savoir un déficit inférieur à 3 % du PIB et une dette diminuant continument vers 60 % du PIB pour ceux qui ne sont pas encore au-dessous de ce seuil.

La soutenabilité de la dette publique dépendant de facteurs spécifiques à chaque pays et à chaque période, la différenciation des objectifs en fonction des particularités de chaque pays est une proposition économiquement pertinente et soutenue par de nombreux économistes.

Cette différenciation est toutefois limitée dans la proposition de la Commission dans la mesure où la cible de 60 % est maintenue à long terme. Certains pays très endettés pourraient devoir réduire leur endettement pendant des dizaines d’années et il n’est pas certain que ce soit socialement et politiquement réaliste même si le rythme de baisse de la dette est très lent.

Ces nouveaux objectifs sont nettement plus complexes que la règle, certes trop simple, consistant à imposer un déficit et une dette inférieurs à respectivement 3 % et 60 % du PIB. Ils ne sont pas nettement plus simples que les objectifs de solde structurel qui ont été ajoutés au pacte de stabilité et de croissance puis inscrits dans le TSCG et qui sont considérés comme excessivement difficiles à comprendre. D’ailleurs, le déficit qui doit être atteint à la fin de la période d’ajustement pour que le plafond de 3 % du PIB soit ensuite respecté à politique inchangée dans un scénario économique central est en réalité un déficit structurel même si ce terme n’est pas employé. Les problèmes d’estimation du solde structurel n’ont donc pas vraiment disparu.

La répartition des pays entre les trois groupes reposerait sur une analyse technique de la soutenabilité de leur dette publique dont la méthodologie actuelle (celle de la Commission comme celle du FMI) n’est compréhensible que par des spécialistes. Les analyses de la plausibilité de la soutenabilité de la trajectoire des finances publiques dans les dix ans qui suivront la période d’ajustement seront également complexes. Les conclusions de ces travaux et les propositions de politique économique en résultant risquent donc fort d’être incomprises et contestées.

Il n’est en conséquence pas du tout certain que les parlements nationaux acceptent des orientations budgétaires fondées sur de telles analyses.

Cela étant dit, il n’est pas sûr que des objectifs à la fois économiquement pertinents, facilement compréhensibles, politiquement acceptables et juridiquement compatibles avec les traités actuels puissent être définis.

B) La programmation à moyen terme

1) Les propositions de la Commission

La Commission européenne propose de transmettre aux Etats membres, pour chacune des années de la période d’ajustement, les dépenses publiques primaires[3] maximales qui permettent d’atteindre à la fin de cette période les objectifs à long terme présentés ci-dessus.

Ces dépenses primaires sont nettes de l’impact budgétaire des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires. Un Etat pourrait donc prévoir plus de dépenses s’il programme également des mesures fiscales nouvelles d’un rendement budgétaire au moins équivalent. En fait, il s’agit d’un « effort structurel primaire » avec une légère différence par rapport au sens généralement donné en France à cette expression dans la mesure où la composante cyclique des dépenses d’indemnisation du chômage est soustraite des dépenses publiques primaires.

Ensuite, chaque Etat devrait transmettre à la Commission un « plan budgétaire et structurel à moyen terme », remplaçant le programme de stabilité et le programme national de réformes, qui présenterait une programmation pluriannuelle des finances publiques respectant ces plafonds annuels de dépenses nettes. Ce plan devrait préciser les réformes et les investissements prévus pour respecter cette trajectoire et, le cas échéant, corriger les déséquilibres macroéconomiques visés dans le cadre de la procédure relative à ces déséquilibres. Il pourrait comprendre des clauses de sauvegarde en cas d’événements exceptionnels imprévisibles. Le comité budgétaire indépendant national (le Haut Conseil des finances publiques en France) devrait enfin donner son avis sur ce plan.

En transmettant ce plan, un Etat pourrait demander une période d’ajustement plus longue en présentant les réformes et les investissements qu’il prévoit d’engager (cf. ci-dessus).

Ce plan serait examiné par la Commission en s’appuyant sur la même méthodologie pour tous les pays, comme elle le fait aujourd’hui pour les programmes de stabilité et les projets nationaux de réforme. Elle ferait sur cette base des propositions de recommandations au Conseil de l’Union européenne, qui approuverait ou non le plan.

2) Commentaires

La programmation à moyen terme des finances publiques reposerait principalement sur l’évolution des dépenses publiques primaires nettes des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires, ce qui est pertinent et assez proche d’une programmation de l’effort structurel primaire (cf. note sur ce sujet). La loi organique du 28 décembre 2021 anticipe largement cette révision des règles européennes en recentrant les lois de programmation françaises sur un plafonnement pluriannuel des dépenses publiques.

Les concepts de PIB potentiel et de solde structurel ne disparaîtraient pas pour autant des règles budgétaires européennes. Le solde prévu au terme de la période d’ajustement est un solde structurel dont l’estimation repose sur la mesure du PIB potentiel et de l’écart entre le PIB effectif et ce PIB potentiel. Les objectifs de solde structurel seraient toutefois relégués au niveau des débats techniques entre les experts de la Commission et des pays membres.

La Commission ne dit pas si les plafonds annuels de dépenses publiques sont exprimés en euros constants ou en euros courants. Dans le premier cas, elle devrait expliquer comment les plafonds en euros constants sont transformés en euros courants dans les budgets annuels, en pratique quelles prévisions d’inflation doivent être retenues. Dans le deuxième cas, la programmation pluriannuelle tient compte d’une prévision d’inflation et il faudrait préciser comment elle est ajustée si l’inflation effective ou les nouvelles prévisions d’inflation diffèrent de l’inflation initialement prévue.

La principale difficulté pour la Commission sera sans doute d’obtenir des pays membres une documentation suffisante pour apprécier la cohérence des plans budgétaires et structurels avec les plafonds annuels de dépenses primaires nettes. S’agissant de la France, il est très rare que les programmes de stabilité et les lois de programmation précisent suffisamment les économies nécessaires pour respecter les objectifs de dépenses au-delà de la première année.

En outre, les coûts et les gains budgétaires des réformes sont souvent très difficiles à estimer, y compris pour des mesures fiscales relativement simples et en disposant des mêmes informations que les gouvernements. La difficulté est d’autant plus grande qu’on ne se limite pas à leur impact immédiat et qu’on essaye de tenir compte des changements de comportement induits. La Commission devrait donc s’appuyer fortement sur les comités budgétaires indépendants nationaux si ces derniers disposent eux-mêmes des informations et de l’expertise nécessaires, mais cela pourrait ne pas être suffisant pour produire des estimations indiscutables.

Enfin, il serait préférable que cette programmation couvre une législature et ne soit donc pas remise en cause par des élections nationales. La Commission semble consciente de cette difficulté en notant que la période d’ajustement « pourrait être allongée pour s’accorder avec la législature nationale » mais les conditions de cet allongement restent floues.

C) Le contrôle du respect des règles

1) Les propositions de la Commission

Les Etats membres devraient envoyer chaque année à la Commission des rapports de suivi de leur plan budgétaire et structurel à moyen terme précisant les résultats financiers obtenus ainsi que les réformes et les investissements engagés. Les comités budgétaires indépendants nationaux seraient chargés d’analyser ces rapports de suivi et la Commission pourrait ainsi s’appuyer sur leurs conclusions pour mener son instruction.

Sur proposition de la Commission, le Conseil pourrait ouvrir la procédure pour déficit excessif prévue à l’article 126 du TFUE dans les cas suivants : déficit public supérieur à 3 % du PIB ; déviations par rapport à la trajectoire des dépenses primaires nettes pour les pays dont la dette publique est substantielle ; déviations par rapport à cette trajectoire du fait de « graves erreurs » (sans plus de précisions) pour les pays dont l’endettement est modéré. On peut rappeler que la procédure pour déficit excessif ne concerne pas seulement le déficit mais peut aussi être ouverte si la dette est supérieure à 60 % du PIB et ne diminue pas suffisamment vite.

La procédure serait ensuite celle qui est décrite à l’article 126. Dans un premier temps, le Conseil recommanderait à l’Etat concerné de prendre des mesures pour sortir de la situation de déficit excessif à un certain horizon. Il pourrait ensuite ajuster ces recommandations, notamment pour accorder un délai plus long, ou engager une mise en demeure de les suivre.

Cette procédure de l’article 126 se termine par la possibilité de sanctionner financièrement les pays qui ne respectent pas les recommandations du Conseil, sous la forme notamment d’amendes « d’un montant approprié ». Le pacte de stabilité et de croissance fixe ce montant à 0,5 % du PIB et la Commission propose de le réduire pour que la menace de sanction soit plus crédible. Elle propose en outre de conditionner le versement de fonds européens au respect des règles budgétaires. Elle envisage enfin des « sanctions réputationnelles », par exemple l’obligation pour le gouvernement du pays concerné d’expliquer devant le Parlement européen pourquoi il n’a pas respecté les recommandations du Conseil.

2) Commentaires

Le contrôle du respect de ces nouvelles règles serait assez largement calqué sur la procédure actuelle, avec sans doute un renforcement des pouvoirs des comités budgétaires indépendants, et on ne voit donc pas bien pourquoi le nouveau dispositif serait plus efficace que l’actuel. En particulier, les sanctions prévues n’apparaissent pas beaucoup plus crédibles qu’aujourd’hui. Cela dit, toute menace de sanction est sans doute illusoire et il faut probablement se contenter de rester dans une logique de « comply or explain ».

En outre, ces nouvelles règles ne consistent pas seulement à fixer de « simples plafonds » aux dépenses publiques primaires. Ces dépenses sont en effet nettes de l’impact budgétaire des mesures relatives aux prélèvements obligatoires et de la composante cyclique des dépenses d’indemnisation du chômage, ce qui peut donner lieu à des estimations controversées.

Surtout, comme on l’a vu plus haut, ces nouvelles règles seraient centrées sur une trajectoire d’évolution des dépenses publiques fixée par la Commission européenne sur la base d’analyses techniques intrinsèquement complexes. Cette trajectoire risque donc de ne pas être acceptée par les parlements nationaux et donc de ne pas être suivie sans que les sanctions prévues par le traité soient plus dissuasives qu’aujourd’hui.

Les médias suivants ont mentionné cette note :

Le nouvel économiste 

 

[1] Ensemble de règlements et directives qui précisent les dispositions du TFUE.

[2] Déficit corrigé de l’impact des fluctuations du PIB mais aussi des mesures exceptionnelles et temporaires.

[3] Les dépenses publiques primaires excluent les intérêts.

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