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21/10/2021

Les prévisions de finances publiques pour 2022

François ECALLE

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Le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances (PLF) pour 2022 présente des prévisions détaillées des comptes des administrations publiques pour 2021 et 2022. Les administrations publiques au sens des comptes nationaux regroupent l’Etat, les collectivités territoriales, les régimes de sécurité sociale et les organismes publics contrôlés par l’Etat ou des collectivités locales dont l’activité est principalement non marchande (universités, musées…). Le déficit et la dette publics sont ceux de ces administrations publiques.

Cette note examine les prévisions relatives aux recettes, aux dépenses, au solde et à la dette des administrations publiques en 2022 qui sont présentées dans le RESF bien que celui-ci soit incomplet, comme le PLF pour 2022 selon le Haut Conseil des finances publiques.

Les principaux indicateurs de finances publiques en % du PIB

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Dépenses publiques hors crédits d’impôt

55,1

54,0

53,8

60,8

59,9

55,6

Prélèvements obligatoires

45,1

44,7

43,8

44,5

43,7

43,5

Déficit public

3,0

2,3

2,2 (*)

9,1

8,4

4,8

Dette publique

98,1

97,8

97,5

115,0

115,6

114,0

SouSource : Insee et rapport économique, social et financier annexé au PLF 2022.rce: Insee et rapport économique, social et fina(*) Hors effet temporaire du remplacement du CICE par un allégement des cotisations patronales.ncier annexé au PLF 2022.

Cette note a été écrite pour, et publiée le 13 octobre 2021 par, l’Institut Montaigne.

A) Des prévisions de recettes prudentes, sous certaines réserves, et traduisant l’impact des mesures votées avant 2021

Les prévisions de recettes des administrations publiques pour 2022 qui sont présentées dans le RESF s’appuient sur un scénario macroéconomique caractérisé par une croissance du PIB de 4,0 % en volume (après 6,0 % en 2021) et 5,5 % en valeur ainsi que par une hausse des prix à la consommation de 1,5 % en moyenne annuelle (comme en 2021).

Dans son avis du 17 septembre 2021, le Haut Conseil des finances publiques a jugé que cette prévision de croissance pour 2022 était « plausible », en supposant que la situation sanitaire continuera à s’améliorer, et que cette prévision d’inflation était « réaliste ». Les prévisions du Gouvernement sont proches de celles des autres organismes qui en publient pour la France.

Le Haut Conseil a néanmoins noté que l’emploi et la masse salariale pourraient être plus élevés que la prévision du RESF pour 2021, et donc également pour 2022 par un « effet de base » mécanique. En conséquence, les recettes fiscales et sociales pourraient être plus importantes que prévu dans le RESF en 2022 comme en 2021. Les prévisions de recettes associées au PLF 2022 semblent donc prudentes et le ministre de l’Economie vient d’ailleurs d’annoncer qu’il relèverait la croissance prévue pour 2021 de 6,0 à 6,25 %, ce qui conduira à majorer également les prévisions de recettes pour 2022, toutes choses égales par ailleurs.

Cependant, les prévisions présentées dans le RESF reposent toujours sur une hypothèse de stabilité des changes et des prix de l’énergie à partir du moment où ces prévisions sont établies (à 69 $ le baril de Brent et 1,17 dollar / euro notamment pour le PLF 2022). A législation inchangée, le maintien des prix de l’énergie à un niveau plus élevé entraînerait une hausse de la TVA sur les produits énergétiques mais aussi une baisse de leur consommation et donc du produit des accises sur le gaz et les carburants. Plus globalement, un encadré figurant dans le RESF associé au PLF 2020 montre qu’une augmentation des prix des hydrocarbures entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une diminution du PIB et une aggravation du déficit public.

Le produit des prélèvements obligatoires augmente de 5,5 % en 2022 dans le RESF, comme le PIB en valeur, hors effet des modifications de la législation fiscale et sociale. Celles-ci ramènent la croissance de ces prélèvements à 5,1 %, soit au-dessous de celle du PIB en valeur. Leur taux, en pourcentage du PIB, diminuerait donc, passant de 43,7 % en 2021 à 43,5 % en 2022 (il était de 45,1 % en 2017).

Il n’y a pas de mesures nouvelles d’un montant significatif dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2022. En revanche, des réformes votées avant 2021 contribueront à réduire les prélèvements obligatoires en 2022. Il s’agit notamment de la nouvelle étape de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales             (-  2,8 Md€ en 2022) et de la dernière étape de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés jusqu’à 25 % (- 2,1 Md€). Au total, les modifications de la législation contribueraient à réduire les prélèvements obligatoires de 4,1 Md€ en 2022.

Ces montants ne tiennent pas compte de la baisse des taxes sur l’électricité qui a été décidée début octobre pour limiter l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur les ménages et qui pourrait avoir un coût de l’ordre de 4 Md€.

La France bénéficierait en outre en 2022 d’une recette de 10,6 Md€ (en comptabilité nationale) en provenance de l’Union européenne pour financer son plan de relance, après 16,5 Md€ en 2021 et sur un total prévu de 40 Md€. Ces transferts de l’Union européenne aux Etats membres sont financés par des emprunts communautaires, ce qui résulte des décisions budgétaires innovantes prises par les chefs d’Etat en juillet 2020.

B) Une forte incertitude sur l’évolution des dépenses publiques

Pour la première fois depuis sa création, le Haut Conseil des finances publiques a renoncé à émettre un avis sur les prévisions de finances publiques associées au projet de loi de finances pour 2022 parce que celui-ci est « incomplet ».

En effet, aucun crédit n’y est inscrit pour financer le nouveau plan de relance par l’investissement, alors même que son montant serait de l’ordre de 30 Md€. Certes, les crédits nécessaires ne seront pour la plupart engagés et payés que sur les exercices postérieurs à 2022, mais les sommes à prévoir pour l’année prochaine pourraient représenter plusieurs milliards d’euros. D’autres mesures, comme le revenu d’engagement en faveur des jeunes ou le plan d’amélioration des compétences, qui étaient envisagées début septembre n’ont pas non plus été budgétées alors qu’elles pourraient elles aussi coûter plusieurs milliards d’euros (même si les ambitions du revenu d’engagement semblent revues à la baisse).

Les décisions prises après le dépôt du PLF, comme la majoration du chèque énergie, n’ont pas pu être prises en compte dans le RESF.

Sous ces importantes réserves, les dépenses publiques (hors crédits d’impôts) diminueraient de 30 Md€ en 2022 (soit - 2,0 % en valeur) après avoir augmenté de 68 Md€ en 2021 (+ 4,8 %). Elles reviendraient ainsi à 55,6 % du PIB en 2022 après 59,9 % en 2021 et 55,1 % en 2017.

D’un côté, le coût des mesures d’urgence et de relance baisserait de 62 Md€. En particulier, les aides du fonds de solidarité (23,0 Md€ en 2021) et les allocations d’activité partielle de courte durée (9,3 Md€ en 2021) disparaîtraient en 2022. Les dépenses de santé liées à la crise sanitaire passeraient de 14,8 Md€ en 2021 à 5,0 Md€ en 2022 et le coût des mesures inscrites dans le plan de relance (hors baisse des impôts de production) passerait de 28,2 Md€ en 2021 à 20,1 Md€ en 2022.

D’un autre côté, les « dépenses ordinaires » augmenteraient de 32 Md€, soit de 2,3 % en valeur et de 0,8 % en volume. Ce taux de croissance en volume est relativement limité puisqu’il correspond à la moyenne annuelle des années 2011-2019 qui est elle-même beaucoup plus faible que celle des années 2000-2008 (plus de 2,0 % par an).  

Cette apparente maîtrise des dépenses publiques « ordinaires » doit toutefois être relativisée puisque certaines mesures nouvelles n’ont pas encore été intégrées à ces prévisions. En outre, le partage entre les dépenses ordinaires et pérennes, d’une part, et les dépenses exceptionnelles et temporaires liées à la crise, d’autre part, est fragile (les chiffres figurant dans le RESF et dans l’avis du Haut Conseil ne sont d’ailleurs pas exactement les mêmes). En particulier, toutes les dépenses inscrites dans le plan de relance sont supposées être exceptionnelles et temporaires alors que beaucoup d’entre elles seront très probablement pérennisées : rénovation énergétique des bâtiments, aides à l’emploi des jeunes, numérisation des services de l’Etat, aides à l’innovation etc. Enfin, le Haut Conseil des finances publiques note que la croissance des dépenses des administrations publiques locales pourrait être plus forte que prévu dans le RESF (+ 7 Md€, soit + 2,7 % en 2022 après + 4,5 % en 2021).

Les dépenses de l’Etat (« objectif de dépenses totales » dans la terminologie budgétaire) hors missions « urgence » et « relance » augmenteraient de 13 Md€ (+ 2,8 %) en comptabilité budgétaire, ce qui constitue une forte hausse au regard de l’évolution de ces dépenses avant la crise. Elle résulterait principalement de la mise en œuvre des lois de programmation sectorielles (défense, justice...) et, plus secondairement, des mesures salariales (enseignants…) et de la hausse du coût de certaines missions (hébergement d’urgence…). La charge d’intérêt de la dette de l’Etat progresserait de 1,6 Md€.

Dans le champ social, les pensions de retraite augmenteraient de 8 Md€ et les dépenses de santé hors mesures exceptionnelles et temporaires de 7 Md€. En revanche, les allocations de chômage diminueraient de 6 Md€ (hors allocations d’activité partielle financées par l’Unédic) dont 2 Md€ du fait de la réforme des conditions d’indemnisation. Le total des dépenses des administrations de sécurité sociale, hors mesures temporaires et exceptionnelles, progresserait de 11 Md€ en 2022 (+ 1,6 %), ce qui paraît relativement faible. Les dépenses hors retraites, santé et chômage ne sont toutefois pas détaillées.

C) Un déficit encore très important

Le déficit public reviendrait à 4,8 % du PIB (124 Md€) en 2022, après 8,4 % du PIB en 2021 (206 Md€) et 3,0 % du PIB en 2017.

Les dépenses et les mesures de baisses d’impôts prises en compte étant incomplètes, le déficit de 2022 pourrait être plus important, même si les PIB de 2021 et 2022 sont révisés à la hausse. Le Haut Conseil des finances publiques a déclaré dans son avis du 17 septembre dernier « ne pas être à ce stade en mesure de se prononcer sur la plausibilité de la prévision de déficit pour 2022 ».

Selon le FMI (prévisions publiées le 12 octobre 2021), le déficit public de la France en 2022 serait de 4,7 % du PIB, celui de l’Allemagne de 1,8 % et la moyenne de la zone euro de 3,4 %.

Selon le RESF, le solde primaire (hors charge des intérêts de la dette) de la France serait encore déficitaire en 2022, à hauteur de 3,7 % du PIB après 7,1 % du PIB en 2021 et 1,2 % du PIB en 2017.

Le déficit public de 2022 serait presqu’entièrement imputable (à hauteur de 4,7 % du PIB) aux administrations publiques centrales (l’Etat et les organismes publics principalement non marchands qu’il contrôle). Le déficit des administrations publiques locales représenterait 0,1 % du PIB (après 0,2 % en 2021) et les administrations de sécurité sociale seraient à l’équilibre (après un déficit de 1,4 % du PIB en 2021).

Cet équilibre des comptes sociaux en 2022 peut surprendre alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit un déficit de 22 Md€ (0,9 % du PIB) pour le régime général et le fonds de solidarité vieillesse, mais les administrations de sécurité sociale (ASSO) au sens de la comptabilité nationale intègrent la CADES qui est structurellement excédentaire (à hauteur de 0,7 % du PIB). En effet, ses ressources servent à rembourser le principal et à payer les intérêts de la dette sociale mais seuls les intérêts sont comptabilisés comme des dépenses publiques, le remboursement du principal étant inscrit directement au bilan des ASSO. Ces administrations sociales comprennent également les régimes de retraite complémentaires qui seraient excédentaires en 2022.

Le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse passerait de 38 Md€ en 2021 à 21 Md€ en 2022 en comptabilité nationale en raison d’une forte croissance de leurs recettes, en ligne avec l’activité économique, et d’une diminution en valeur de leurs dépenses (forte baisse des dépenses de santé liées à la crise sanitaire).

Selon le RESF, le déficit public de 2022 serait de nature entièrement « structurelle » (indépendante de la conjoncture économique), le déficit structurel représentant 4,7 % du PIB, après 6,8 % du PIB en 2021 et 2,4 % en 2017. Or le déficit structurel ne peut être réduit qu’en augmentant les prélèvements obligatoires ou en faisant en sorte que la croissance des dépenses publiques en volume soit inférieure à la « croissance potentielle » du PIB, elle-même estimée à 1,35 % par an dans le RESF.

D)  Une maîtrise difficile mais nécessaire de la dette publique

Le RESF prévoit une légère baisse de la dette publique, en pourcentage du PIB, de la fin de 2021 (115,6 % du PIB) à la fin de 2022 (114,0 % du PIB). Elle représentait 98,1 % du PIB à la fin de 2017.

Selon le FMI (prévisions publiées le 12 octobre 2021), la dette publique de la France à la fin de 2022 représenterait 113,5 % du PIB, celle de l’Allemagne 69,8 % du PIB et la dette moyenne de la zone euro 92,2 % du PIB.

La légère baisse du ratio dette / PIB en 2022 en France résulte surtout de la forte augmentation de la valeur du PIB (+ 5,5 %), mais celle-ci correspond à la fin du rebond de l’activité économique entamé en 2021 et n’est pas durable. Le RESF table sur une croissance en valeur du PIB de 3,0 % par an au cours des années suivantes. Pour stabiliser la dette à 115 % du PIB avec une telle croissance, il faudrait ramener le déficit public à 3,4 % du PIB et l’y maintenir.

Or la trajectoire pluriannuelle des finances publiques présentée dans le RESF prévoit que le déficit public sera ramené à ce niveau seulement en 2025, alors même qu’elle ne tient pas compte de mesures telles que le plan d’investissements France 2030. La dette sera alors égale à 116,3 % du PIB. Sa diminution s’amorcerait ensuite lentement (elle serait encore à 115,7 % du PIB en 2027).

Cette trajectoire à moyen terme repose sur des hypothèses macroéconomiques plausibles (une croissance du PIB de 1,4 % par an et une inflation de 1,6 %), sur l’absence de toute nouvelle modification des règles relatives aux impôts et cotisations sociales et sur la maîtrise des dépenses publiques. Leur croissance annuelle moyenne serait en effet de seulement 0,7 % en volume sur les années 2023 à 2027.

C’est à peu près le taux de croissance moyen des dépenses publiques au cours des années 2011 à 2019, mais il a été obtenu en réalisant des économies avec des mesures qui ont été difficiles à prendre : recul progressif de l’âge minimal de départ à la retraite sur les années 2011 à 2018, gel du point de la fonction publique pendant presque dix ans ; forte baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales sur la période 2014-2016 qui les a obligées à réduire leurs investissements puis leurs dépenses de fonctionnement. Il n’est pas du tout certain que de telles réformes soient encore politiquement faisables après deux ans de « quoi qu’il en coûte » donnant l’impression que la dette publique ne pose plus aucun problème.

Si l’endettement public était nécessaire pour soutenir les ménages et les entreprises pendant la crise, il faudrait pourtant en reprendre le contrôle pour en assurer la soutenabilité, c’est-à-dire stabiliser, voire réduire, la dette en pourcentage du PIB, lorsque l’activité économique sera redevenue « normale ». A défaut, les créanciers de l’Etat pourraient prendre peur et exiger des taux d’intérêt très élevés qui dégraderaient encore plus la soutenabilité de la dette jusqu’à une crise.

Cette perspective est certes encore très lointaine et hypothétique car la banque centrale européenne (BCE) permet aux Etats de la zone euro de se financer très facilement à des taux quasiment nuls en achetant massivement les obligations qu’ils émettent. On ne peut cependant pas compter sur un soutien illimité de la BCE.

Si l’inflation dépasse durablement son objectif, ce qui ne peut pas être définitivement exclu, elle devra remonter les taux d’intérêt qu’elle détermine et réduire ses créances sur les agents économiques, y compris sur les Etats. Si un pays est plus particulièrement mis en difficulté par ses créanciers, comme pendant la crise des années 2011-2012, le programme d’achats illimités de titres publics concrétisant le « whatever it takes » de Mario Draghi ne pourra être actionné que si le pays en question accepte des réformes imposées par le mécanisme européen de stabilité (MES).

Les pays du nord de l’Europe ont accepté en 2020 que la BCE lance un programme exceptionnel d’achats de titres publics et que l’Union européenne emprunte pour aider les pays en difficulté parce qu’il s’agissait d’une crise exceptionnelle causée par un coronavirus dont aucun de ces pays n’était responsable. Il n’est pas sûr que leur solidarité soit aussi grande lorsqu’il s’agira de soutenir un pays qui aura pris des mesures de politique économique irresponsables à leurs yeux. La France devra montrer qu’elle a le sens de ses responsabilités en maintenant sa dette publique sous contrôle.

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