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02/03/2017

Les enjeux de la hausse du taux d'intérêt de la dette publique

François ECALLE

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L’écart entre les taux d’intérêt des emprunts d’Etat à dix ans en France et en Allemagne (le « spread franco-allemand ») a récemment approché 80 points de base, alors qu’il n’avait pas atteint ce niveau depuis la période de crise des dettes publiques de la zone euro entre l’été 2011 et l’été 2012. Cette évolution, à l’approche des élections présidentielle et législatives, est inquiétante et quelques éléments d’analyse doivent être rappelés pour en comprendre les enjeux.

La baisse du taux d’intérêt de la dette a jusqu’à présent grandement facilité la gestion des finances publiques.

La situation des finances publiques de la France reste néanmoins fragile et l’anticipation d’une divergence accentuée des politiques économiques en France et en Allemagne pourrait se traduire par une hausse forte et rapide du taux des emprunts d’Etat en France.

Si elle devait se produire, une telle hausse aggraverait fortement et rapidement le déficit public, avec le risque d’un emballement incontrôlé de la dette et finalement d’une crise entraînant la perte de notre souveraineté en matière budgétaire.

Une sortie de la zone euro ne donnerait pas le pouvoir de faire financer la dette publique par la Banque de France à un taux d’intérêt nul, ou seulement très faible, et ne renforcerait pas notre souveraineté.

Les principales caractéristiques de la charge d’intérêt des administrations publiques sont présentées dans une fiche de l’encyclopédie.

A)   La baisse du taux d’intérêt de la dette a jusqu’à présent grandement facilité la gestion des finances publiques

Le graphique suivant montre que le rapport entre la charge d’intérêts des administrations publiques et le PIB, a décru depuis 1996, juste avant la décision de faire entrer la France dans la zone euro, malgré une augmentation quasi-continue, et particulièrement forte depuis 2008, du ratio dette publique / PIB.

Cette charge d’intérêts est passée de 3,4 % du PIB en 1996 à 2,5 % en 2006 puis à 2,0 % en 2015, alors que la dette publique est passée de 56 % du PIB fin 1995 à 67 % fin 2005 et, surtout, à 95 % fin 2014.

La charge d’intérêt a diminué de 3 Md€ de 2006 à 2015 alors que la dette publique a augmenté de 850 Md€ entre fin 2005 et fin 2014.

Cette évolution de la charge d’intérêt a grandement facilité la réduction du déficit public sur la période récente, notamment entre 2011, où il atteignait 5,1 % du PIB, et 2015, où il a été ramené à 3,5 % du PIB. En effet, cette baisse de 1,6 point de PIB s’explique à hauteur de 0,6 point par la réduction de la charge d’intérêts.

Cette diminution du rapport de la charge d’intérêts au PIB, malgré l’augmentation de la dette, est due à la baisse du « taux d’intérêt apparent de la dette publique ». Ce taux apparent est le rapport entre la charge d’intérêts des administrations publiques et le montant de la dette publique à la fin de l’année précédente. Par définition de ce taux apparent, la charge d’intérêt est égale au produit de celui-ci par la dette à la fin de l’exercice précédent.

Source : Insee ; FIPECO

Le taux apparent de l’année N dépend du taux auquel les emprunts de l’année N sont émis mais aussi, et surtout, des taux de tous les emprunts émis au cours des années antérieures et qui n’ont pas encore été remboursés. En conséquence, l’impact d’une variation des taux d’intérêt des nouveaux emprunts sur la charge d’intérêt de la dette publique est très progressif. Plus précisément, il est immédiat sur la charge de la dette à court terme et sur celle de la dette qui couvre le déficit de l’année en cours, mais le taux des dettes à long terme émises dans le passé, et donc le taux apparent, n’est modifié que progressivement au fur et à mesure de leur renouvellement.

En dépit de cette relative inertie, le taux apparent de la dette publique a baissé fortement et rapidement depuis 1996 puisqu’il était alors de 6,3 % et qu’il est passé à 3,9 % en 2006 puis à 3,3 % en 2011 et 2,1 % en 2015.

B)   Les finances publiques de la France sont fragiles et exposées au risque de politiques divergentes en France et en Allemagne

Le seuil d’endettement au-delà duquel se déclenche une crise des finances publiques est impossible à déterminer précisément parce qu’il dépend de nombreux paramètres mal connus et souvent spécifiques à chaque pays et à chaque période.

Le Japon n’éprouve pas de difficultés pour financer son déficit et rembourser une dette publique atteignant 230 % du PIB fin 2015, alors que l’Espagne a connu une grave crise de ses finances publiques avec un endettement public de 67 % du PIB fin 2010[1]. Une grande différence entre ces deux pays est que l’Espagne était fortement endettée vis-à-vis du « reste du monde » en 2010 alors que le Japon détient des actifs nets considérables sur les autres pays. La position globale de l’ensemble des agents économiques du pays vis-à-vis de l’extérieur importe autant que la dette des administrations publiques. Par ailleurs, l’Espagne faisait face, dans le contexte général d’une crise de la zone euro, à une crise bancaire sans précédent due à l’implosion d’une bulle immobilière.

La pertinence et la crédibilité de la politique économique sont également des facteurs essentiels. Le solde primaire stabilisant la dette étant d’autant plus faible que la croissance du PIB est forte, un programme de réformes permettant de relever la croissance potentielle améliore la soutenabilité des finances publiques. Si les créanciers de l’Etat considèrent que ce programme est crédible et pertinent, ils peuvent continuer à lui prêter en confiance même si son endettement est très important.

La capacité à augmenter les impôts ou à réduire les dépenses publiques si nécessaire, qui peut être limitée par des facteurs politiques, sociaux ou économiques, constitue également un paramètre déterminant. Le degré probable de solidarité des pays voisins, notamment au sein d’une union économique et monétaire, est aussi un élément essentiel. La situation relative de l’endettement public par rapport à celle des pays comparables est enfin aussi importante que le niveau absolu de la dette publique.

Or la situation des finances publiques de la France est fragile au regard de plusieurs de ces paramètres. Son déficit public est nettement supérieur à la moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne, qu’il s’agisse du déficit effectif ou du « déficit structurel », c’est-à-dire corrigé de l’impact des fluctuations du PIB.

Le solde primaire des administrations publiques reste fortement négatif (- 1,5 % du PIB en 2015). Cela signifie que les administrations publiques devraient continuer à emprunter même si leur charge d’intérêts était ramenée à zéro.

La dette publique de la France n’est toujours pas stabilisée ; elle est supérieure à la moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne et la situation de ses finances publiques est moins « soutenable » que celle des pays comparables.

La France n’a plus de marge de hausse du taux de ses prélèvements obligatoires, celui-ci étant déjà au 2ème rang de l’OCDE, et elle n’a pas su réduire ses dépenses publiques autant que les autres pays.

Si elle était frappée par un nouveau choc macroéconomique négatif, la France n’aurait aucune marge budgétaire pour relancer l’activité ou seulement laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » (cf. chapitre sur les finances publiques du rapport public annuel 2016 de la Cour des comptes).

La dette publique française est détenue pour les deux tiers par des non-résidents, ce qui est à la fois une marque de confiance de leur part et un facteur de risque au cas où cette confiance serait perdue.

En outre, la balance des transactions courantes est déficitaire depuis de nombreuses années et la France a une dette nette de plus en plus élevée vis-à-vis du reste du monde.

Enfin, la croissance potentielle ne dépasse certainement pas 1,5 % par an et il semble très difficile de ramener le taux de chômage au-dessous de 8 %.

En dépit de ces caractéristiques défavorables, l’Etat emprunte à des taux très faibles. Cette situation résulte d’abord de la politique monétaire de la BCE qui sera moins accommodante lorsque l’inflation repartira durablement[2]. Elle tient également à une prime de risque, mesurée par l’écart entre les taux des obligations d’Etat allemandes et françaises, qui est restée inférieure à 50 points de base jusqu’à la fin de 2016, en dehors de la période allant de l’été 2011 à l’été 2012.

Si la France a de nombreux atouts, naturels comme sa position géographique ou construits comme son potentiel scientifique, les acteurs des marchés financiers considèrent surtout qu’elle est « too big to fail » et que l’Allemagne ne la laissera jamais « faillir ». Vues d’Extrême-Orient, les obligations d’Etat françaises et allemandes offrent les mêmes garanties.

Il n’est cependant pas certain que cette situation perdure indéfiniment, l’histoire enseignant que les alliances ne sont pas éternelles. Si les acteurs des marchés financiers se mettent à croire, à tort ou à raison, que les tensions entre les deux pays pourraient un jour conduire à un éclatement de la zone euro, la prime de risque sur les obligations d’Etat françaises pourrait monter très rapidement et très haut.

Lors de la crise des dettes publiques de la zone euro, la prime de risque de la dette française est montée en six mois de 40 à 150 points de base alors même que la probabilité d’une sortie de la France de la zone euro était perçue comme très faible. Si cette probabilité apparait plus forte, la prime de risque de la France pourrait atteindre en quelques mois les niveaux que des pays comme l’Italie et l’Espagne ont connus dans les années 2011-2012, soit plus de 400 points de base.

Le graphique suivant présente l’évolution des spreads de taux d’intérêt à 10 ans entre plusieurs pays européens et l’Allemagne depuis début 2016. Ils remontent nettement en France et en Italie depuis quelques semaines, ce qui n’est certainement pas sans lien avec le contexte politique.

Source : Macrobond data set ; FIPECO

C)    Une hausse des taux pourrait aggraver fortement et durablement le déficit et la dette publics

Une hausse au 1er janvier de 100 points de base de tous les taux d’intérêts, c’est-à-dire sur toute la « courbe des taux » qui donne à chaque instant le taux d’intérêt en fonction de la durée de l’emprunt, entraînerait une augmentation de la charge d’intérêt de l’Etat, en comptabilité nationale, de 2,1 Md€ la première année, de 4,6 Md€ la deuxième, de 10,3 Md€ la cinquième et de 15,8 Md€ la dixième[3]. La cinquième année, le déficit public serait ainsi aggravé d’environ 0,5 point de PIB et la dette publique de 1,5 point de PIB.

Si la prime de risque des emprunts publics français était majorée de 400 points de base, les chiffres précédents devraient être multipliés par quatre : au bout de cinq ans, le déficit public serait accru de 2 points de PIB et la dette publique de 6 points.

La valeur des obligations publiques françaises détenues par les banques et les compagnies d’assurance-vie diminuerait fortement, ce qui pourrait se traduire par des résultats déficitaires et une dégradation de leur bilan les obligeant à relever les taux des crédits à l’économie et à réduire les taux offerts aux épargnants. Les effets défavorables sur l’activité économique en résultant accentueraient les difficultés financières des administrations publiques.

Dans de telles conditions, la prime de risque peut devenir de plus en plus forte ; la dette publique peut s’emballer et devenir incontrôlable ; certains créanciers peuvent finir par refuser de prêter à l’Etat, même à des taux très élevés. La crise financière qui se déclenche alors peut se terminer par un « défaut de paiement », l’Etat ne trouvant plus les nouveaux financements nécessaires pour rembourser ses dettes. Comme son solde primaire est déficitaire, il ne pourrait pas non plus payer toutes ses dépenses hors intérêts sans emprunter et il devrait se résigner à couper brutalement dans les dépenses ou à relever fortement les impôts. Dans ces conditions, la souveraineté, qui réside pour une large part dans le pouvoir de lever l’impôt et d’en affecter le produit aux dépenses votées par le Parlement, n’aurait plus de portée réelle. En d’autres mots, la France se retrouverait dans la situation de la Grèce.

Source : projet annuel de performances de la mission engagements financiers de l’Etat annexé au projet de loi de finances pour 2017 ; FIPECO.

D)   La sortie de la zone euro serait une option très risquée

Les enjeux d’une sortie de la France de la zone euro pour les finances publiques ont été analysés dans un précédent billet dont les conclusions sont les suivantes.

Compte-tenu du déficit persistant de ses transactions courantes et du manque chronique de compétitivité de la France, il est très probable que le rétablissement du Franc entraînerait rapidement sa dévaluation, quelle que soit la parité Franc/Euro retenue initialement. C’est d’ailleurs ce que souhaitent généralement les partisans d’une sortie de la zone euro pour rétablir la compétitivité des entreprises françaises.

L’ampleur de cette dévaluation est imprévisible car les évolutions des taux de change sont erratiques et difficilement contrôlables. La zone euro a d’ailleurs été créée pour éviter le coût économique des fluctuations trop fortes des monnaies européennes et voulue par la France pour éviter des dévaluations pénalisantes. Une dévaluation a en effet un impact négatif sur l’activité économique, sauf si le pouvoir d’achat des salaires diminue.

Avant la création de l'euro, la France avait de facto perdu le pouvoir de mener une politique monétaire autonome, car elle était sous la dépendance de la banque centrale allemande. Une sortie de la zone euro ne lui redonnerait pas ce pouvoir car elle devrait de nouveau s’aligner sur la politique de la banque centrale allemande, sauf à accepter un flottement non contrôlé des monnaies européennes entre elles et à soumettre alors la valeur du Franc à la spéculation financière internationale.

Une sortie de la zone euro n’exonérerait pas la France des efforts nécessaires pour réduire sa dette publique et rendrait plus difficile le rééquilibrage des finances publiques. En effet, la dévaluation qui en résulterait augmenterait immédiatement le poids réel de la dette publique et la charge d’intérêt sans que cet effet négatif soit compensé par l’impact d’une inflation plus forte.

Le recours, sauf s'il est exceptionnel et limité, au financement du déficit public par la banque centrale nationale est une solution illusoire car cette institution ne peut pas financer indéfiniment un Etat, sauf à réduire le financement du secteur privé.  En outre, si une banque centrale finance l’Etat à un taux plus faible que celui des financements qu’elle accorde aux banques commerciales, l’impact sur le déficit public est nul. En effet, les bénéfices d’une banque centrale sont reversés à l’Etat sous forme d’impôt sur les sociétés ou de dividendes. L’Etat perdrait donc autant sur cet impôt et sur les dividendes reçus qu’il gagnerait sur la charge d’intérêt.

 

[1] Dette brute des comptes nationaux retenue par l’OCDE qui, pour la France, est de 120,8 % du PIB fin 2015.

[2] L’inflation tend à réduire le ratio dette / PIB par son effet sur le PIB et n’a pas d’impact significatif sur le solde primaire (les recettes et dépenses augmentent à peu près de la même façon). En revanche, elle peut entraîner une hausse des taux d’intérêt dont l’effet sur le déficit et la dette entraîne finalement une hausse du ratio dette / PIB.

[3] En tenant compte de l’augmentation de la dette qui résulte de la hausse de la charge d’intérêt, le « solde primaire », c’est-à-dire les recettes moins les dépenses hors charges d’intérêts, étant supposé constant.

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