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19/10/2017

Les collectivités locales dans la loi de programmation des finances publiques

François ECALLE

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Les lois de programmation des finances publiques couvrent l’ensemble des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, donc les administrations publiques locales. Celles-ci regroupent les collectivités locales et les établissements publics du secteur non marchand placés sous leur contrôle.

Le projet de loi de programmation pour la période 2018-2022 prévoit que les administrations publiques locales contribueront pour un quart à la réduction du déficit public en dégageant un excédent jamais enregistré jusque-là de 0,8 point de PIB en 2022, grâce à une baisse de 0,3 %, en moyenne annuelle, de leurs dépenses en volume.

Pour atteindre cet objectif, le projet de loi de programmation fixe, pour chaque année, des objectifs d’évolution des dépenses de fonctionnement et de réduction du besoin de financement des collectivités territoriales qui serviront de référence pour établir des contrats entre l’Etat et les plus importantes d’entre elles. Un mécanisme de correction pouvant prendre la forme d’une diminution des ressources apportées par l’Etat aux collectivités locales est prévu pour le cas où ces contrats et les objectifs de la loi de programmation ne seraient pas respectés.

Ce dispositif est encore imprécis car plusieurs points importants restent ouverts à la négociation avec les représentants des élus locaux mais, quelles que soient les précisions qui pourront être apportés, il sera difficile à mettre en œuvre et les résultats qui peuvent en être attendus sont incertains. En particulier, la conjonction d’économies et d’excédents budgétaires considérables sur une telle durée est peu probable.

Des fiches de l’encyclopédie présentent les comptes et les dépenses des administrations publiques locales.

A)   Des objectifs très ambitieux

1)    Des excédents jamais enregistrés jusque-là

Le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit que la capacité de financement, au sens de la comptabilité nationale[1], des administrations publiques locales (APUL) passera de 0,1 point de PIB en 2017 à 0,8 point en 2022. Les APUL contribueront donc pour un quart à la réduction du déficit public, de 2,9 % du PIB en 2017 à 0,2 % en 2022.

Depuis la première vague de décentralisation au début des années 1980, les administrations publiques locales n’ont dégagé une capacité de financement, avant 2015, que dans les années 1997 à 2002, marquées par une croissance particulièrement forte en France comme dans beaucoup d’autres pays, et elle n’a pas dépassé 0,2 point de PIB.

Source : Insee, projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 ; FIPECO.

La capacité de financement des APUL augmenterait assez peu de 2017 (0,1 point de PIB) à 2019 (0,2 point) car des élections municipales doivent avoir lieu en 2020. En effet, les investissements des collectivités locales, donc également leurs dépenses en comptabilité nationale, accélèrent traditionnellement jusqu’à l’année qui précède ces élections et ralentissent l’année des élections et la suivante. Leur capacité de financement accélèrerait ensuite de 2020 (0,3 point de PIB) à 2022 (0,8 point).

2)    Une baisse inédite des dépenses

Le scénario macroéconomique sur lequel s’appuie le projet de loi de programmation comporte une reprise de l’inflation, de 1,0 % en 2017 à 1,75 % en 2022, après une période 2013-2016 de très faible inflation. Il est donc préférable de retenir l’évolution des dépenses en volume (euros constants).

La croissance en volume des dépenses des administrations publiques locales (en %)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

0,7

0,3

0,7

- 0,3

- 1,6

- 0,6

Source : projet de loi de programmation des finances publiques 2018-2022 ; FIPECO.

Selon le rapport économique annexé au projet de loi de finances, la décélération attendue en 2018 résulterait d’une croissance relativement forte en 2017 en volume des dépenses de personnel (+ 0,6 %), du fait notamment de la hausse du point d’indice et de la réforme des grilles salariales, et des prestations sociales (+ 3,0 %), du fait notamment de la poursuite de la montée en charge de l’allocation personnalisée d’autonomie. En 2018, les dépenses de personnel baisseraient fortement (- 0,8 % en euros constants) et les prestations sociales seraient stables en euros constants. Cette évolution de la masse salariale n’est possible que si les effectifs de la fonction publique territoriale diminuent sensiblement.

Le cycle habituel de l’investissement public local peut ensuite expliquer l’accélération attendue entre 2018 et 2019 puis la diminution des dépenses en 2020 et en 2021.

La croissance de 0,5 % en moyenne annuelle prévue sur la période 2018-2019 est toutefois exceptionnellement faible s’agissant des deux années précédant une élection municipale, pendant lesquelles les investissements sont les plus importants.

La baisse de 0,8 % en moyenne annuelle sur la période suivante 2020-2022 est identique à celle qui a été constatée sur la période comparable 2014-2016, s’agissant du cycle électoral, mais la période 2014-2016 a aussi été marquée par une forte baisse des dotations de l’Etat. Toutes choses égales par ailleurs, il faut donc que les nouveaux instruments prévus par le projet de loi de programmation pour inciter les collectivités locales à réduire leurs dépenses soient aussi efficaces en 2020- 2022 que la baisse des dotations de l’Etat en 2014-2016.

Au total sur la période 2018-2022, les dépenses totales des administrations publiques locales baisseraient de 1,5 % en volume, soit de 0,3 % en moyenne annuelle. Or le graphique suivant montre que, avant 2014, ces dépenses n’ont diminué en volume que deux fois (en 1997 et 2010). Elles ont certes été majorées dans les années 2000 par des transferts de compétences de l’Etat, mais les dépenses hors transferts n’ont jamais baissé en volume en dehors de ces deux années. Sur 2014-2016, les dépenses des APUL n’ont baissé en volume qu’n raison de la conjonction de la baisse des dotations de l’Etat et du cycle des investissements locaux.

Source : Insee, projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 ; FIPECO.

Dans son rapport de juin 2017 sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes a estimé la croissance tendancielle des dépenses des administrations publiques locales en volume à 1,8 % par an. Une baisse moyenne de 0,3 % par an sur la période 2018-2022 correspond dans ces conditions à une économie annuelle d’environ 4,5 Md€ (2,1 % de 225 Md€), soit environ 23 Md€ sur le quinquennat. Le Gouvernement affiche des économies de 13 Md€ sur le quinquennat sans préciser la croissance tendancielle retenue.

B)   Des instruments d’une efficacité incertaine

1)    Les instruments prévus

L’article 10 du projet de loi de programmation pour la période 2018-2022 fixe deux objectifs nationaux qui constituent « l’objectif d’évolution de la dépense locale » (ODEDEL) prévu par la loi de programmation des finances publiques de 2014 et qui concernent :

- la croissance en valeur des dépenses dites « réelles »[2] de fonctionnement de l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre pour chaque année ;

- la réduction annuelle de leur besoin de financement, entendu comme les emprunts de l’année minorés des remboursements de dettes.

Il prévoit en outre que des contrats soient conclus entre le représentant de l’Etat et les régions, les départements, les communes de plus de 50 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 150 000 habitants (319 entités devraient être au total  concernées) ayant pour objet de déterminer les objectifs d’évolution de leurs dépenses de fonctionnement et de leur besoin de financement ainsi que les modalités selon lesquelles le respect de ces objectifs sera assuré. S’agissant des entités de taille inférieure, l’article 10 prévoit seulement que ces objectifs seront présentés lors des débats d’orientation budgétaire.

Il n’est pas précisé si ces objectifs seront spécifiques à chaque collectivité et à chaque établissement ou si certaines catégories de collectivités ou d’établissements auront des objectifs communs. Rien n’est prévu au cas où une collectivité ou un établissement refuse de signer une convention.

L’article 10 ajoute cependant qu’un « mécanisme de correction », mis au point « dans le cadre du dialogue entre l’Etat et les collectivités territoriales », sera défini par la loi et appliqué dans le cas où les objectifs nationaux de maitrise des dépenses de fonctionnement et de réduction du besoin de financement ne seraient pas respectés. L’article 10 précise que ces mesures de correction pourront porter sur les concours financiers de l’Etat ou sur les ressources fiscales qu’il affecte aux collectivités locales. Cet article se termine par une phrase difficile à comprendre sur « la trajectoire de dépenses correspondant à l’effort demandé ».

En attendant les conclusions du dialogue prévu avec les élus locaux, ce mécanisme de correction reste imprécis. S’il est assez clair qu’il prendra la forme d’une baisse des concours financiers de l’Etat, la nature exacte de ces concours et surtout le rapport entre le montant de leur diminution et l’ampleur du dépassement des objectifs contractuels ne sont pas précisés. Par ailleurs, le projet de loi de programmation ne prévoit pas de majoration des concours de l’Etat au cas où les objectifs seraient largement dépassés, ce qui a pourtant été évoqué dans la communication du Gouvernement.

2)    Les résultats attendus et leur cohérence avec la trajectoire des dépenses et du déficit publics

L’article 10 du projet de loi de programmation fixe pour objectifs une réduction du besoin de financement des collectivités locales et de leurs groupements à fiscalité propre de 2,6 Md€ et une croissance de leurs dépenses de fonctionnement en valeur de 1,2 %, pour chacune des années 2018 à 2022. Le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2018 indique, dans sa présentation de l’ODEDEL, que ce taux de 1,2 % est « conventionnel, correspondant à l’évolution moyenne sur la période 2018-2022 ».

Les dépenses réelles de fonctionnement et le besoin de financement des collectivités locales et de leurs groupements à fiscalité propre, dans leurs systèmes comptables spécifiques, ne correspondent pas exactement aux dépenses de fonctionnement et au besoin de financement des administrations publiques en comptabilité nationale. Ces notions sont toutefois assez proches pour pouvoir supposer que leurs évolutions sont identiques.

La réduction de 2,6 Md€ par an du besoin de financement des collectivités locales et de leurs groupements conduit ainsi à une baisse cumulée de 13 Md€ sur cinq ans qui est comparable à l’amélioration de 0,7 point de PIB de la capacité de financement des APUL inscrite dans le projet de loi de programmation.

Une croissance de 1,2 % par an des dépenses de fonctionnement en valeur sur 2018-2022 correspond à une baisse de 0,2 % en moyenne annuelle en volume compte-tenu des prévisions d’inflation du Gouvernement. Elle est très proche de la baisse de 0,3 % par an prévue pour les dépenses totales des APUL, ce qui laisse entendre que le gouvernement prévoit sur la période une diminution des dépenses d’investissement du même ordre.

En revanche la croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités locales de 1,2 % en valeur, et donc 0,2 % en volume, en 2018 qui servira de référence aux contrats n’est pas cohérente avec une croissance des dépenses totales des APUL de 0,3 % compte-tenu du dynamisme des investissements locaux dans cette phase de leur cycle, soit 1,9 % en volume hors société du Grand Paris selon le rapport économique annexé au PLF 2018. Selon ce rapport, les dépenses de fonctionnement des APUL devraient en fait baisser de 0,5 % en volume et donc augmenter de seulement 0,5 % en valeur en 2018, soit une croissance bien plus faible que l’objectif de 1,2 % en valeur proposé comme objectif aux collectivités locales.

Le graphique suivant présente l’évolution en volume des dépenses de fonctionnement des APUL comptabilisées par l’Insee jusqu’à 2016, les prévisions d’évolution de ces dépenses pour 2017 et 2018 inscrites dans le rapport annexé au PLF 2018 et des prévisions pour 2019 à 2022 telles que la baisse en moyenne annuelle sur 2018-2022 soit de 0,2 %.

Il en ressort que le Gouvernement attend sur ces cinq années une modération des dépenses de fonctionnement des APUL qui n’a été observée dans le passé que très ponctuellement (en 1997, 2010 et 2016).

Source : Insee, projet de loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 ; FIPECO.

3)    L’efficacité des instruments prévus

A supposer que les collectivités locales acceptent de s’engager dans le processus de contractualisation prévu à l’article 10, alors que rien n’est prévu si elles s’y refusent, les négociations risquent d’être très difficiles. Soit l’Etat essayera d’imposer la même évolution des dépenses de fonctionnement et du besoin de financement à toutes les collectivités et il lui sera reproché de ne pas tenir compte des caractéristiques propre à chacune, alors que cela devrait être l’objet de la contractualisation ; soit il proposera ou acceptera des évolutions différentes pour chaque collectivité ou groupe de collectivité et il faudra alors justifier ces écarts de traitement. Or cette justification sera toujours contestable et contestée car les indicateurs envisageables pour l’appuyer sont nombreux (dynamisme démographique, difficultés d’entretien des équipements, taux de chômage etc.) et leur pondération sera toujours en partie subjective. La négociation de ces contrats sera donc très difficile et il n’est pas du tout certain qu’ils soient signés et que les évolutions inscrites dans les contrats éventuellement signés soient conformes à la programmation des finances publiques.

Ensuite, il sera difficile de faire respecter ces contrats car les sanctions financières envisagées sont peu crédibles. Il sera en effet délicat de sanctionner des collectivités locales qui apparaîtront bien gérées. La loi de programmation prévoit en effet que la capacité de financement des APUL sera de plus en plus grande et, implicitement, qu’elles se désendetteront rapidement.

Dans une telle situation, la pression des électeurs sur les élus locaux sera très forte pour accroître les dépenses et réduire les impôts, même si cela entraîne des sanctions financières qui ne feront que réduire le rythme de ce désendettement. Donc, même si ces sanctions sont mises en œuvre, il faudrait qu’elles soient très fortes pour avoir l’effet incitatif recherché.

Plus la capacité de financement des APUL sera forte et plus ce dispositif sera difficile à appliquer. Il n’est donc pas sûr que cette capacité de financement dépasse 0,3 point de PIB et elle risque donc d’être loin du 0,8% affiché pour 2022.

 

[1] Lorsque cette capacité de financement est négative, il s’agit d’un besoin de financement et le besoin de financement de l’ensemble des administrations publiques est le déficit public au sens du traité de Maastricht.

[2] C’est-à-dire hors dotations aux provisions et amortissements et hors dépenses dites d’ordre.

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