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FIPECO le 01.02.2023                                       

Les notes d’analyse                                   VIII) Assurances sociales et redistribution

2)       Faut-il supprimer les régimes spéciaux de retraite ?

François ECALLE

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Cette note fait le point sur les principales caractéristiques des régimes spéciaux de retraite et sur les mesures qui les concernent dans le projet de loi de réforme des retraites présenté par le gouvernement.

A) Le périmètre et la gestion des régimes spéciaux

L’article L711-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « parmi celles jouissant déjà d'un régime spécial le 6 octobre 1945, demeurent provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les branches d'activités ou entreprises énumérées par un décret en Conseil d'Etat ». Ces dispositions provisoires durent depuis plus de 75 ans.

Les fonctionnaires ont deux régimes spéciaux de retraites : le premier couvre les fonctionnaires civils et militaires de l’Etat et le second les agents des collectivités locales, auxquels sont rattachés les personnels hospitaliers. Ils sont présentés chaque année dans un « rapport jaune » annexé au projet de loi de finances. Les agents de plusieurs organismes ou branches d’activité ont également un régime spécial de retraite. Les trois plus importants par leurs effectifs sont ceux de la SNCF, de la RATP et des industries électriques et gazières. Ils ont fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes en 2019. Les assemblées parlementaires, la Banque de France, la Comédie Française, les clercs et employés de notaires, les ouvriers de l’Etat ont aussi, parmi d’autres, un régime spécial de retraite. Ces régimes spéciaux fonctionnent en répartition.

Alors que les salariés du secteur privé sont affiliés à la fois à un régime de base, le régime général, et à un régime complémentaire, l’Agirc-Arrco, tous deux en répartition, les fonctionnaires n’ont pas de régime complémentaire. Depuis 2003, ils sont toutefois affiliés à un régime de « retraite additionnelle » par capitalisation dont les cotisations sont assises sur leurs primes dans la limite de 20 % du traitement. Les prestations versées restant très limitées (moins de 0,5 Md€), il n’est pas traité dans cette note.

Le régime des fonctionnaires civils et militaires de l’Etat verse des pensions à 2,5 millions de retraités de droit direct ou dérivé (réversion) et celui des agents des collectivités locales et des hôpitaux à 1,5 million de retraités.

Les règles de liquidation et de revalorisation des retraites sont quasiment identiques dans les deux régimes de fonctionnaires. Si les cotisations salariales sont les mêmes, les taux des cotisations à la charge de l’employeur sont différents (cf. plus loin) car les ratios démographiques retraités / cotisants sont eux-mêmes différents.

Le régime de la fonction publique d’Etat est géré par un service du ministère des finances, le « service des retraites de l’État ». Il fait l’objet d’un « compte d’affectation spéciale » dans la comptabilité budgétaire de l’Etat qui enregistre les pensions versées aux retraités et les cotisations reçues des agents en poste et des ministères employeurs (budget général). Les retraites du régime des fonctions publiques territoriale et hospitalière sont versées par un établissement public, la « caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales » (CNRACL). Elle est administrée par un conseil rassemblant notamment des représentants élus des employeurs (collectivités locales et hôpitaux) et des fonctionnaires concernés. Sa gestion est déléguée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

La fusion de ces deux régimes, dont la coexistence n’a pas de justification sérieuse et constitue un frein à la mobilité entre les trois fonctions publiques, permettrait de faire des économies de gestion significatives, mais le service des retraites de l’Etat ne regroupe lui-même que depuis 2020 tous les bureaux qui géraient auparavant les retraites des agents dans les ministères. Or ce regroupement était un préalable à une éventuelle fusion avec le service concerné de la CDC.

Les trois autres régimes spéciaux les plus importants (SNCF, RATP et industries électriques et gazières) versent des pensions à 0,5 millions de retraités de droit direct ou dérivé. Ils sont gérés par des caisses de retraite distinctes.

Les régimes spéciaux autres que ceux des fonctionnaires on fait l’objet en 2008 d’une réforme visant à aligner leurs règles sur celles des régimes de fonctionnaires mais, comme le montre le rapport précité de la Cour des comptes, leurs règles restent plus favorables que celles applicables aux fonctionnaires. Les mesures prises ensuite en 2010 et 2014 pour reculer l’âge minimal de départ en retraite et augmenter la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein ont été appliquées dans ces régimes comme dans ceux de la fonction publique et des salariés du secteur privé, mais avec un calendrier décalé. Par exemple, le relèvement de deux ans de l’âge minimal d’ouverture des droits ne sera effectif qu’en 2024 alors qu’il l’est depuis 2017 dans le régime général et la fonction publique.

Les agents recrutés à la SNCF depuis le début de 2020 n’ont plus le statut de cheminot et sont affiliés aux régimes de retraite des salariés du secteur privé. Les cheminots en poste avant la fin de 2019 gardent leur statut et leur régime de retraite (clause dite du grand-père).

Sauf mention contraire, les règles relatives aux pensions et aux ressources des régimes spéciaux qui sont présentées dans la suite de cette note sont celles des régimes de fonctionnaires et les règles relatives aux pensions et aux ressources des régimes des salariés du secteur privé sont celles du régime général.

B) Le calcul des pensions

Le salaire de référence pour le calcul de la pension est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu de la moyenne des 25 meilleures années (retraite de base) ou de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé. Ce salaire de référence, de même que l’assiette des cotisations sociales, exclue les primes dans les régimes de fonctionnaires alors que tous les éléments de rémunération sont pris en compte dans le régime général et les régimes complémentaires. 

Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés du secteur privé, mais ces derniers bénéficient également de retraites complémentaires qui portent leur taux plein réel également aux alentours de 75 % en moyenne.

La comparaison des règles des régimes de retraites publics et privés présente d’importantes difficultés méthodologiques et il n’est pas étonnant que des résultats différents soient obtenus selon les études. Tous les travaux réalisés jusqu’à ce présent, notamment ceux du conseil d’orientation des retraites (COR) et de la Cour des comptes, conduisent néanmoins à des taux de remplacement du salaire net moyen des cinq années précédant la retraite par la pension nette, après une carrière complète, qui sont en moyenne proches (environ 75 %)[1]. Les fonctionnaires sont avantagés par la règle des six mois et pénalisés par l’exclusion des primes.

Cette égalité, approximative, du taux moyen de remplacement malgré des règles très différentes, résulte du hasard. Elle masque d’ailleurs d’importantes disparités, notamment en fonction du taux de prime des fonctionnaires, qui est très variable d’un corps et d’un ministère à l’autre. Si les règles du privé étaient appliquées aux fonctionnaires partant aujourd’hui en retraite, environ deux tiers d’entre eux y gagneraient et les autres y perdraient, les gains et pertes en question pouvant être supérieurs à 15 % du montant de la pension.

L’application des règles du secteur privé aux fonctionnaires les conduirait toutefois à payer des cotisations salariales sur leurs primes. Une étude récente de la DREES montre que, si on en tient compte, l’application des règles du privé aux fonctionnaires entrainerait une baisse d’environ 0,7 % de leur revenu moyen sur un cycle de vie.

Les taux moyens de remplacement différaient dans le passé : ils étaient plus élevés pour les fonctionnaires parce que la part des primes dans leur rémunération était plus faible. Ils seront de nouveau plus élevés pour les fonctionnaires dans l’avenir si la part des primes dans leur rémunération ne change pas. En effet, le taux de remplacement moyen baissera d’ici à 2070 dans les régimes de retraite du secteur privé en particulier parce que les salaires passés sont actualisés en fonction de l’inflation pour faire la moyenne des 25 meilleures années. Si les salaires augmentent plus vite que l’inflation, ce mode d’actualisation conduit à un décrochage du salaire de référence utilisé pour liquider la pension par rapport au salaire effectif à la date de la retraite. La règle des six derniers mois protège les fonctionnaires contre cet effet.

Il existe d’autres différences entre les régimes spéciaux et les régimes des salariés du secteur privé (avantages liés au nombre d’enfants, modalités d’attribution des pensions de réversion…) mais, par souci de simplification, elles ne sont pas présentées ici.

C) L’âge de départ

1) Les régimes de la fonction publique

L’âge moyen des personnes qui ont liquidé leur retraite en 2020 est de 63,6 ans dans la fonction publique civile d’Etat pour les « sédentaires » et de 62,9 ans dans le régime général. Cet âge moyen est nettement inférieur pour les « actifs » et « super-actifs » (59,7 ans pour les civils) et pour les militaires (44,9 ans). Ces âges moyens sont proches de ceux de la fonction publique d’Etat dans les deux autres fonctions publiques. Rapportée à l’espérance de vie, la durée de la retraite des fonctionnaires est supérieure à celle des salariés du secteur privé.

En effet, l’âge minimal d’ouverture des droits à la retraite est de 62 ans pour les sédentaires, d’un peu moins de 57 ans pour les actifs et 52 ans pour les super actifs, sous réserve d’une durée minimale de services pour ces deux catégories (respectivement 17 et 25 ans). De plus, le nombre de trimestres de cotisation validés est parfois « bonifié », à hauteur d’un cinquième pour les catégories super-actives de la fonction publique d’Etat. Des règles spécifiques s’appliquent également aux militaires s’agissant de l’âge minimal pour liquider la pension et des bonifications de durée d’assurance.

Les fonctionnaires dits actifs ou super-actifs appartiennent à des corps classés dans ces catégories, souvent dans des temps anciens, parce que les emplois concernés « présentent un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles » selon le code des pensions. Les super-actifs de la fonction publique d’Etat (police nationale, services pénitentiaires et contrôle aérien) étaient environ 150 000 en 2020. Les actifs (douaniers…) étaient environ 16 000 ; ceux de la fonction publique territoriale (pompiers, policiers municipaux…) étaient en nombre indéterminé mais pouvaient être 550 000 (surtout des adjoints techniques et agents de maîtrise mais il est impossible de les distinguer dans les statistiques) ; ceux de la fonction publique hospitalière (aides-soignants, ouvriers et agents d’entretien…) pouvaient être 400 000 mais ne sont pas non plus distingués dans les statistiques.

Les salariés du secteur privé dont les travaux présentent également des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles bénéficient du compte personnel de prévention de la pénibilité.

Les deux régimes qui coexistent désormais, compte pénibilité dans le secteur privé et catégories actives dans le secteur public, ont toutefois des logiques très différentes : le régime des « actifs » repose sur une approche collective des conditions de travail alors que le compte pénibilité repose sur une approche individuelle, du moins selon la loi puisque ses décrets d’application l’orientent en pratique vers une approche plus collective. Surtout, le compte pénibilité ne permet que d’avancer le départ en retraite au taux plein de deux ans.

2) Les autres régimes spéciaux

L’âge effectif de la retraite était de 58,9 ans à la SNCF en 2021, de 56,8 ans à la RATP en 2021 et de 57,7 ans dans les industries électriques et gazières en 2017. L’âge minimal était en 2019 de 50 ans et 8 mois pour les agents de conduite de la SNCF et de la RATP, de 55 ans et 8 mois pour les autres agents de la SNCF, les personnels des ateliers et dépôts de la RATP et les personnels en service « actif ou insalubre » des industries électriques et gazières. Pour tous les autres agents, il était de 60 ans et 8 mois. L’âge d’annulation de la décote est de presque cinq ans au-dessus des âges minimaux.

La réforme de 2008 a supprimé les « bonifications métiers » qui majoraient la durée d’assurance et permettaient d’obtenir plus facilement le taux plein. La durée requise pour l’obtenir est désormais quasiment identique à celle des régimes de la fonction publique et du secteur privé (42 ans actuellement et 43 ans pour la génération qui partira à partir de 2035).

D) Le coût et le financement

En 2021, les pensions versées par l’Etat au titre du régime de retraite de ses agents civils et militaires (y compris invalidité) se sont élevées à 55,7 Md€. Elles ont été financées par des cotisations salariales (au taux de 11,1 %) à hauteur de 7,1 Md€, par des cotisations des employeurs autres que l’Etat (établissements publics notamment) pour 6,9 Md€ et par des « cotisations d’équilibre » (selon la commission des comptes de la sécurité sociale) versées par les ministères de 41,1 Md€.

Les prestations versées par la CNRACL (vieillesse et invalidité) se sont élevées à 22,5 Md€ et elles ont été financées par 5,9 Md€ de cotisations salariales et 16,2 Md€ de cotisations des employeurs.

Les trois plus importants des autres régimes spéciaux ont versé 11,6 Md€ de pensions de retraite qui ont été financées par des cotisations salariales à hauteur de 1,4 Md€, par des cotisations des employeurs à hauteur de 4,5 Md€ et par des subventions de l’Etat ou des taxes affectées[2] à hauteur de 5,7 Md€.

Au total, les prestations ont atteint 89,8 Md€ en 2021 et ont été financées par des cotisations salariales pour 14,4 Md€, des cotisations des employeurs pour 27,6 Md€, des subventions d’équilibre ou des taxes affectées pour 46,8 Md€ et des produits divers pour 1,0 Md€. Les cotisations des employeurs sont largement financées par des impôts d’Etat ou locaux.

Le financement des régimes spéciaux de retraite par des impôts, directement ou par l’intermédiaire des cotisations des employeurs et des subventions d’équilibre, est en partie justifié par deux motifs. D’abord, les autres régimes de retraite sont aussi financés pour une partie, certes plus petite, par l’impôt ou par des transferts d’autres organismes (37 % des prestations de vieillesse du régime général sont financées par des ressources autres que les cotisations sociales). Ensuite, les régimes spéciaux ont des ratios retraités / cotisants plus dégradés que les autres régimes et il est normal que ce déséquilibre démographique soit compensé. De telles subventions existent implicitement au sein du régime général où les « vieilles » branches comme la sidérurgie sont « subventionnées » par les « jeunes » branches comme l’informatique.

Pour comparer les « efforts contributifs » des affiliés de différents régimes, dans son rapport de novembre 2020, le conseil d’orientation des retraites a rapporté le montant total des pensions aux revenus super bruts des cotisants pour chaque régime, en corrigeant ce rapport pour neutraliser l’impact de ratios retraités / cotisants différents. Ces « taux de prélèvement d’équilibre corrigés du ratio démographique » sont de 18,1 % pour les salariés du secteur privé, de 20,3 % pour les fonctionnaires civils de l’Etat, de 15,6 % pour les militaires et de 21,9 % pour les fonctionnaires locaux et hospitaliers.

Un taux plus élevé peut être considéré comme le signe d’un régime plus « généreux » sous deux réserves : d’une part les revenus super bruts n’ont pas la même signification dans le privé et dans le public (cf. ci-dessous) ; d’autre part, les ratios démographiques défavorables des régimes spéciaux résultent non seulement de la démographie mais aussi des règles qui permettent de partir plus tôt en retraite. La pertinence de ces comparaisons est donc limitée.

Pour déterminer si les régimes spéciaux sont plus avantageux, il pourrait être envisagé de comparer le bilan actualisé des cotisations versées (salariales et patronales) et des prestations reçues par leurs affiliés et par les salariés du secteur privé (régime général et régimes complémentaires). Toutefois, comme le montrent les travaux du COR sur ce sujet, une telle comparaison n’a guère de sens en raison de la différence de nature entre les cotisations des employeurs privés et publics.

Il est en effet possible de considérer que les cotisations patronales amputent la rémunération qu’un salarié aurait pu obtenir sur un marché du travail concurrentiel et qu’elles constituent donc un « effort contributif » pour obtenir un « salaire différé » sous forme de retraite. En revanche, les cotisations des employeurs publics n’ont pas de rapport avec la rémunération que les fonctionnaires pourraient obtenir sur un marché concurrentiel et ne constituent pas nécessairement un effort contributif de leur part.

La comparaison des taux de remplacement est plus pertinente. Or les éléments présentés ci-dessus montrent que, aujourd’hui, il n’y a pas de différences significatives entre régimes du public et du privé.

En revanche, l’âge de départ et la durée de la retraite avantagent manifestement les agents du secteur public. Cet avantage peut être mesuré en estimant le coût des pensions versés à des personnes qui n’ont pas encore atteint 62 ans en raison de leur appartenance à une catégorie particulière d’agents publics, ce que fait le COR en présentant le coût des « dispositifs de solidarité » des régimes de retraite dans ses rapports annuels. En 2016 (dernière année pour laquelle il a fait ce calcul), le coût des départs anticipés liés à la catégorie professionnelle dans les régimes spéciaux s’est élevé à 8,2 Md€, soit 9,4 % du total des pensions. En comparaison, le coût des départs anticipés pour carrières longues, qui profitent surtout aux salariés du secteur privé, était de 6,1 Md€, soit 3,0 % des pensions de leurs régimes de retraite.

E) Les mesures inscrites dans le projet de loi de réforme des retraites

Pendant son premier mandat présidentiel, E. Macron a voulu créer un système universel de retraite fusionnant l’ensemble des régimes actuels, y compris ceux de la fonction publique, dans un unique régime. Si la transition vers ce nouveau système était inévitablement très difficile, celui-ci aurait été plus simple que l’organisation actuelle et aurait permis de lever les obstacles à la mobilité professionnelle que constituent les différences entre les règles de fonctionnement des régimes existant aujourd’hui. Cette réforme aurait aussi mis fin aux querelles récurrentes sur les avantages supposés des régimes du secteur public par rapport à ceux du secteur privé si elle avait abouti.

Le projet actuel en garde une trace avec la mise en extinction de la plupart des régimes spéciaux hors fonction publique (et hors SNCF puisque le régime des cheminots a déjà été mis en extinction en 2020). La « clause du grand-père » serait appliquée, ce qui signifie que les agents actuellement en poste continueraient à bénéficier de leur régime spécial alors que les nouvelles recrues seraient affiliées au régime général et à l’Agirc-Arrco[3].

Les deux régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires seraient toutefois maintenus alors qu’il n’y a pas de raisons de les préserver de l’extinction progressive, avec la clause du grand-père, autres que politiques : les fonctionnaires, et donc les protestataires potentiels, sont bien plus nombreux que les agents affiliés aux autres régimes spéciaux. L’article L711-1 du code de la sécurité sociale rappelle d’ailleurs qu’ils devaient être soumis « provisoirement » à une « organisation spéciale » (cf. plus haut).

La principale différence entre les régimes des deux secteurs est, comme on l’a vu, la possibilité de partir plus tôt en retraite qui est donnée à certaines catégories d’agents publics. Ces départs anticipés sont en principe justifiés par la pénibilité des métiers exercés, mais il existe aussi beaucoup de métiers pénibles dans le secteur privé.

Les règles des régimes du secteur privé en tiennent compte à travers des dispositifs qui ont été créés (compte personnel de prévention de la pénibilité) ou maintenus (carrières longues, départs anticipés pour inaptitude au travail…) au cours de ces dernières années et que le projet actuel de réforme maintient en l’état ou étend pour les prochaines années. Il serait souhaitable que les nouveaux fonctionnaires en bénéficient dans les mêmes conditions que les salariés du secteur privé, plutôt que de maintenir indéfiniment des régimes dérogatoires.

En tout état de cause, il ne faudrait pas que le projet actuel de réforme accentue les différences entre les régimes du secteur public et du secteur privé. Les mesures visant à reculer l’âge effectif de départ en retraite (hausses de l’âge minimal d’ouverture des droits et de la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein) doivent donc y être mises en œuvre parallèlement.

Le projet du Gouvernement le prévoit bien à travers une hausse de deux ans des divers âges minimaux d’ouverture des droits (62 ans pour le droit commun et 57 ou 52 ans pour les catégories « actives » et « super actives ») et une accélération de la hausse de 42 à 43 ans de la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein, sans modification de l’âge d’annulation de la décote (67, 62 ou 57 ans selon les règles actuelles). Il ne faudrait pas remettre en cause ce parallélisme au cours des débats parlementaires.

Le projet du Gouvernement prévoit aussi le maintien de la durée de service nécessaire pour un départ anticipé à la retraite et de nouveaux avantages spécifiques pour les fonctionnaires : portabilité des droits à retraite anticipée acquis lors du passage d’une catégorie de fonctionnaires à une autre ; extension au secteur public du dispositif de retraite progressive. En outre, un fonds spécial de prévention de l’usure professionnelle devrait être créé pour les personnels hospitaliers.

Ces mesures spécifiques aux fonctionnaires restent limitées et ne remettent pas fondamentalement en cause le parallélisme entre les réformes mises en œuvre dans le secteur public et dans le secteur privé. Il ne faudrait pas que la poursuite de la concertation avec les partenaires sociaux et les débats parlementaires conduisent à trop les amplifier et ainsi à trop réduire le gain de la réforme pour les finances publiques ou à trop accentuer les différences entre les régimes des fonctionnaires et des salariés du secteur privé.

F) Conclusion

Les principaux régimes spéciaux sont ceux des fonctionnaires de l’Etat (2,5 millions de retraités), des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (1,5 million), de la SNCF, de la RATP et des industries électriques et gazières (0,5 million pour l’ensemble des trois). Ce sont des régimes par répartition et leurs affiliés n’ont pas de régimes complémentaires. L’existence de deux régimes distincts pour les fonctionnaires n’a pas de justification sérieuse. Les régimes spéciaux autres que ceux de la fonction publique, parfois très petits, ont été réformés en 2008 pour rapprocher leurs règles de celles des régimes de fonctionnaires, mais elles restent plus favorables que ces dernières.

Le calcul des pensions, en fonction des revenus d’activité, est très différent dans les régimes spéciaux et dans les régimes (de base et complémentaires) des salariés du secteur privé. Le hasard fait cependant que les taux moyens de remplacement des revenus d’activité par les pensions sont assez proches dans ces régimes, mais ces taux moyens masquent de fortes disparités, notamment en fonction du taux de prime pour les fonctionnaires.

Le principal avantage des régimes spéciaux, pour une partie de leurs affiliés, réside dans la possibilité de partir plus tôt en retraite sans en être toujours pénalisé sur le plan financier. En conséquence, si les fonctionnaires « sédentaires » partent en retraite un peu plus tard que les salariés du privé, les « actifs » et « super actifs » de la fonction publique partent 3 ans plus tôt et les agents des trois principaux autres régimes spéciaux de 4 à 6 ans plus tôt.

Les pensions versées par ces régimes ont atteint 90 Md€ en 2021 et ont été financées par des cotisations salariales pour 14 Md€, par des cotisations des employeurs pour 28 Md€ et par des subventions d’équilibre ou des taxes affectées pour 47 Md€. Les cotisations des employeurs sont elles-mêmes largement financées par des impôts d’Etat ou locaux.

Les régimes de retraite du secteur privé sont toutefois eux-mêmes pour partie financées par des impôts et les subventions aux régimes spéciaux peuvent être partiellement justifiées par une démographie défavorable. S’il est en pratique difficile de mesurer et comparer la « générosité » des différents régimes, on peut tout de même noter que les départs anticipés dans les régimes spéciaux ont un coût annuel de plus de 8 Md€.

Le gouvernement prévoit de mettre en extinction, en appliquant la « clause du grand-père », la plupart des régimes spéciaux autres que ceux de la fonction publique. Ces derniers devraient pourtant eux aussi être mis en extinction de la même façon. Il prévoit aussi d’appliquer les mesures visant un relèvement de l’âge effectif de départ en retraite parallèlement aux salariés du secteur privé et aux affiliés des régimes spéciaux (recul de deux ans d’âges minimaux différents…). En dépit d’autres mesures spécifiques aux fonctionnaires mais d’ampleur limitée, les écarts entre régimes ne devraient donc pas être accentués. Il ne faudrait pas que la poursuite de la concertation avec les partenaires sociaux et les débats parlementaires conduisent à les amplifier.

 

[1] Le taux de remplacement est un meilleur indicateur que le montant des pensions pour comparer les régimes car des pensions plus élevées peuvent résulter de salaires plus élevés qui tiennent eux-mêmes à une qualification en moyenne plus forte.

[2] Taxe sur le transport de l’électricité pour le régime spécial des industries électriques et gazières.

[3] Les régimes spéciaux perdant les cotisations des nouvelles recrues, leurs comptes seront déséquilibrés, ce qui devra être compensé soit par les autres régimes, soit par l’Etat, comme c’est déjà le cas pour le régime de la SNCF.

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