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08/05/2016

La réforme du pacte de stabilité et de croissance

                           

                                  

François ECALLE

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Dans une interview publiée le 29 avril par Les Echos, le président de l’Euro-groupe, Jeroen Dijsselbloem, s’est déclaré favorable à une réforme du pacte de stabilité et de croissance (PSC) et propose notamment d’utiliser « l’indicateur de dépenses de référence » (« expenditure benchmark ») à la place du « solde structurel ».

Comme le montre une note de ce site, le traité de Maastricht et le PSC reposent sur des justifications solides et leurs défauts initiaux ont été largement corrigés, notamment par les réformes successives du PSC et par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG). Ces corrections sont néanmoins insuffisantes.

Si le solde structurel est préférable au solde effectif pour guider et suivre la politique budgétaire, il est difficile à mesurer et à utiliser. L’évolution des dépenses publiques est un indicateur beaucoup plus simple et compréhensible, mais elle doit être appréciée au regard de la croissance du PIB à moyen terme et des mesures de hausse ou de baisse des prélèvements obligatoires, ce qui conduit à suivre « l’effort structurel ». L’indicateur de dépenses de référence évoqué par le président de l’Euro-groupe est une variante de l’effort structurel et il est donc en effet préférable au solde structurel pour guider et suivre la politique budgétaire.  

Cette proposition du président de l’Euro-groupe s’inscrit dans le prolongement de documents de travail récents, comme ceux qui ont été publiés par les services de de la Commission européenne et par l’institut Bruegel. Les conclusions de la note d’analyse des règles budgétaires qui figure sur ce site en sont très proches.

Il est probable qu’une telle réforme, si on souhaite aller jusqu’au bout de sa logique, requiert de modifier non seulement des règlements communautaires mais aussi le TSCG. Une expertise juridique des modifications à apporter aux textes communautaires serait nécessaire en complément de l’analyse économique développée ici qui montre que cette proposition du président de l’Euro-groupe mérite d’être soutenue.

A)   Les indicateurs du traité de Maastricht sont importants mais risquent de conduire à mener des politiques budgétaires inadaptées

Si les règles budgétaires européennes sont des dispositions essentielles du contrat entre les pays européens que constitue le traité de Maastricht, le plafonnement du déficit et de la dette, en points de PIB, est un impératif national indépendant de l’appartenance à la zone euro.

En effet, l’augmentation de la dette peut se terminer par une crise des finances publiques débouchant sur des mesures de redressement très douloureuses et imposées de l’extérieur. En outre, plus la dette publique est élevée, plus les effets multiplicateurs des déficits sur l’activité sont faibles. Il existe donc un niveau d’endettement à ne pas dépasser au-delà duquel les risques associés à la dette public sont supérieurs aux avantages macroéconomiques du déficit. Celui-ci doit lui-même être plafonné pour que la dette ne dépasse pas ce seuil.

Les plafonds de 3 % et 60 % du PIB n’ont aucun caractère scientifique car les seuils au-delà desquels les finances publiques entrent dans une zone dangereuse varient selon les pays et les périodes. Il est toutefois impossible que tous les pays s’entendent sur des limites spécifiques à chacun et à chaque période et, dans ces conditions, les seuils communs qui ont été retenus ne sont pas moins pertinents que d’autres. En outre, les règles budgétaires européennes sont suffisamment flexibles pour être adaptées à la situation économique de chaque pays.

Il est toutefois apparu dès les premières années du PSC que le respect de la règle de déficit pouvait conduire à des politiques budgétaires inappropriées. En effet, le déficit diminue mécaniquement lorsque la croissance est forte, ce qui peut permettre d’augmenter les dépenses publiques ou de réduire les prélèvements obligatoires sans dépasser 3 % du PIB, comme ce fut le cas en Europe au tournant des années 2000, notamment en France et en Allemagne. Lorsque la croissance ralentit, comme en 2002-2003, ce seuil est dépassé, ce qui oblige à mettre en œuvre des mesures de redressement à un moment où il faudrait plutôt laisser jouer les stabilisateurs automatiques et accepter un accroissement du déficit.

B)   Le solde structurel est un indicateur utile mais difficile à utiliser

1)    Un indicateur utile

Si ces pays avaient été contraints de réduire leur déficit structurel dans les années 1999-2001, malgré l’amélioration de leur solde effectif, ils se seraient trouvés en 2002-2003 avec un déficit effectif moins élevé et dans une situation beaucoup plus favorable pour gérer le ralentissement de l’activité économique.

Plus tard, à la fin de 2009, le Conseil de l’Union européenne a recommandé à la France de ramener son déficit effectif au-dessous de 3,0 % du PIB en 2013. Au début de 2013, il est apparu que la croissance du PIB était quasiment nulle et que cet objectif était impossible à atteindre, sauf à prendre des mesures drastiques de redressement qui risquaient d’entraîner une récession. Conformément aux règles européennes, la Commission et le Conseil ont alors accepté de repousser à 2015 le retour du déficit effectif sous le seuil de 3,0 % du PIB tout en demandant à la France une réduction de son déficit structurel beaucoup moins forte que celle qui aurait permis de sortir de la situation de déficit excessif dès 2013.

Dans une telle conjoncture, il est en effet plus pertinent de se donner un objectif raisonnable de réduction du déficit structurel qu’un objectif de réduction du déficit effectif imposant des mesures de redressement de nature à provoquer une baisse de l’activité économique de telle ampleur que cet objectif de déficit effectif en deviendrait inatteignable.

2)    Le niveau du solde structurel est un indicateur difficile à utiliser

La mesure du niveau du solde structurel est cependant toujours très fragile. Cette fragilité tient d’abord à l’estimation du niveau du PIB potentiel. Il existe, pour un pays et une année, à peu près autant de valeurs du PIB potentiel que d’économistes qui l’estiment.

En outre, les estimations du PIB potentiel des années passées sont fréquemment révisées pour tenir compte des dernières données macroéconomiques sur la croissance. Les estimations du solde structurel des années passées sont en conséquence elles-mêmes souvent révisées, ce qui peut changer substantiellement l’appréciation de la situation des finances publiques.

L’élasticité moyenne des prélèvements obligatoires au PIB qui est retenue pour estimer la composante conjoncturelle du solde, et par conséquent le solde structurel, est souvent très différente de l’élasticité observée année par année qui est assez largement cyclique : plus élevée lorsque la croissance du PIB est forte, plus basse lorsque cette croissance est faible. En conséquence, la composante véritablement conjoncturelle du solde effectif est sous-estimée dans les phases hautes du cycle, et inversement dans les phases basses. Ces difficultés sont exacerbées dans de petites économies ouvertes moins stables que la France.

De plus, le déficit structurel est « corrigé des mesures ponctuelles et temporaires ». Or il n’existe pas de définition précise de ces mesures permettant de les identifier incontestablement. En pratique, il y a tous les ans dans tous les pays de très nombreuses mesures ponctuelles et temporaires et les raisons pour lesquelles certaines d’entre elles sont ou non retenues par les gouvernements et les organisations internationales sont souvent difficiles à comprendre.

L’estimation de la variation annuelle du solde structurel est un peu plus fiable parce que la croissance potentielle est elle-même un peu plus fiable que le niveau du PIB potentiel.

Il n’est cependant pas possible d’expliquer les évolutions du solde structurel par des mesures de politique économique, ce qui est très frustrant pour les décideurs. Ses variations apparaissent comme des résultats difficiles à comprendre sur lesquels ils n’ont aucune prise. Selon le président de l’Euro-groupe, « cet indicateur monte et descend sans que je sache réellement pourquoi ».  Il est donc difficile, dans ces conditions, de faire accepter aux responsables politiques d’être guidés par cet indicateur.

C)    L’évolution des dépenses publiques est un indicateur pertinent et compréhensible mais son appréciation doit tenir compte de la croissance du PIB à moyen terme

L’évolution en valeur des dépenses publiques est un indicateur indiscutable (il est mesuré par l’Insee) et facile à comprendre.

L’Etat contrôle, plus ou moins directement, les trois quarts des dépenses publiques en France et les Gouvernements peuvent être tenus pour responsables de leur évolution.

Les déficits publics, et donc l’endettement public, résultent d’un excès de dépenses publiques par rapport aux recettes. Dans des pays comme la France où le taux des prélèvements obligatoires est très élevé, la maîtrise des dépenses est plus particulièrement pertinente.

L’évolution des dépenses publiques doit être compatible avec celle des prélèvements obligatoires, qui est elle-même liée à la croissance en valeur du PIB. La croissance des dépenses publiques doit donc être inférieure à celle du PIB en valeur pour réduire le déficit public, à législation fiscale inchangée.

Le ratio dépenses publiques / PIB n’est cependant pas un bon indicateur si on se contente de le comparer d’une année à l’autre car il est autant affecté par les évolutions de son dénominateur que par celles de son numérateur. Une diminution de ce ratio une année donnée peut donc aussi bien résulter d’une maîtrise des dépenses publiques que de la croissance de l’activité économique. Le suivi de cet indicateur peut ainsi conduire aux mêmes erreurs de politique économique que les objectifs de déficit effectif.

Pour être certain d’obtenir une baisse du ratio dépenses publiques / PIB durable et pas seulement conjoncturelle, il faut se donner un objectif de croissance des dépenses publiques qui soit inférieur à la croissance potentielle, celle-ci devant être estimée avec prudence par une institution budgétaire indépendante comme le Haut Conseil des finances publiques.

La croissance potentielle est toutefois estimée en volume alors que la croissance en valeur des dépenses publiques est en partie déterminée par le taux d’inflation. Pour rendre comparables la croissance des dépenses en valeur et la croissance potentielle, il faut ajouter à cette dernière soit l’évolution prévue des prix soit, comme le recommande la note précitée de l’institut Bruegel, l’objectif d’inflation de la banque centrale[1] pour l’exprimer aussi en valeur.

D)   L’évolution des dépenses doit aussi être appréciée en tenant compte des mesures fiscales nouvelles, ce qui conduit à suivre l’effort structurel

Pour ramener et maintenir le déficit et la dette à des niveaux soutenables, il ne suffit pas de maîtriser les dépenses publiques car une baisse des prélèvements obligatoires pourrait en annuler les effets. En outre, il est souhaitable que la programmation pluriannuelle des finances publiques laisse au Gouvernement et au Parlement la possibilité d’arbitrer chaque année entre baisse des dépenses et hausse des prélèvements. Dans ces conditions, il est préférable de se donner des objectifs de finances publiques en termes d’effort structurel.

En effet, celui-ci est la somme de deux termes : un effort de hausse des prélèvements obligatoires et un effort de maîtrise des dépenses publiques.

L’effort de hausse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) est égal au rendement total des « mesures nouvelles » concernant ces prélèvements. Il est éventuellement négatif, en termes d’impact sur les finances publiques, si les baisses d’impôts l’emportent sur les hausses.

L’effort de maîtrise des dépenses publiques est égal en France à 55 % de la différence entre la croissance potentielle du PIB et la croissance des dépenses[2].  Si cette dernière est supérieure à celle du PIB potentiel, l’effort est négatif, ce qui signifie qu’il contribue à aggraver la situation des finances publiques.

Si, par exemple, la croissance des dépenses publiques est de 2,5 % et la croissance potentielle de 3,0 %, en valeur, et si les mesures fiscales nouvelles entraînent une baisse des prélèvements obligatoires de 0,1 point de PIB, l’effort structurel est de 0,275 point de PIB au titre des dépenses et de – 0,1 point au titre des recettes, soit au total de 0,175 point de PIB.

E)    L’indicateur de dépenses de référence de la Commission européenne est plus compliqué que l’effort structurel français

Le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance prévoit que le déficit structurel des Etats membres doit converger vers un « objectif de moyen terme », au plus 1 % du PIB en zone euro, puis s’y maintenir. Cet objectif est réduit par le TSCG à 0,5 % du PIB pour les pays fortement endettés. Ce traité prévoit aussi que le respect de cet objectif de moyen terme et les progrès réalisés en direction de celui-ci font l’objet d’une évaluation globale prenant pour référence le solde structurel et « comprenant une analyse des dépenses, déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes ».

Dans les pays où le déficit structurel est égal ou inférieur à l’objectif de moyen terme, la croissance des dépenses publiques ne doit pas dépasser la croissance potentielle du PIB, sauf si le surplus de dépenses par rapport à cette règle (mesuré en pourcentage du PIB) est compensé par des mesures nouvelles de hausse des prélèvements obligatoires[3]. Dans les pays où le déficit structurel est supérieur à l’objectif de moyen terme, comme la France, la croissance des dépenses doit être inférieure à un « taux de référence », lui-même inférieur à la croissance potentielle, sauf si le surplus de dépenses par rapport à cette règle est compensé par des mesures nouvelles de hausse des prélèvements obligatoires.

Ce concept de « taux de référence des dépenses déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes » (« expenditure benchmark »), qui correspond à l’indicateur de dépenses de référence cité par le président de l’Euro-groupe dans l’article des Echos, est en pratique très proche de l’effort structurel utilisé en France.

Il présente néanmoins quelques différences avec l’effort structurel au sens français : seules les « dépenses primaires », c’est-à-dire hors charges d’intérêts, sont prises en compte ; la composante conjoncturelle de la hausse, ou de la baisse, des dépenses d’indemnisation du chômage n’est pas prise en compte ; les investissements publics sont lissés sur plusieurs années.  

Ces corrections apportées à l’évolution des dépenses publiques ont chacune leur justification[4], mais elles conduisent à complexifier l’indicateur. Elles sont souvent inutiles car leur ampleur est en général faible au regard de la croissance des dépenses alors qu’elles risquent de perturber la compréhension de l’indicateur et son appropriation par les pouvoirs publics. Seules les charges d’intérêt pourraient être utilement retirées de l’indicateur, ce qui conduirait à suivre l’évolution des seules « dépenses primaires ».

La croissance potentielle utilisée par la Commission européenne est lissée sur 10 années à peu près centrées sur l'année examinée. Le "taux de référence" de croissance des dépenses doit donc être inférieur à une croissance potentielle de moyen terme qui est moins volatile que la croissance potentielle annuelle, ce qui est plutôt satisfaisant.

F)    L’effort structurel recommandé doit dépendre du déficit effectif et de l’endettement public

 

Si un pays se trouve en situation de « déficit excessif », l’article 126 du traité de Maastricht prévoit seulement que le Conseil lui adresse des recommandations pour qu’il mette fin à cette situation « dans un délai donné ».

Le rythme de réduction du déficit et de la dette, qui n’est donc pas imposé par le traité, devrait résulter d’un effort structurel lui-même fixé en fonction de l’écart entre le niveau de la dette et le seuil de 60 % du PIB, par exemple 1/50 de cet écart comme le propose le document de l’institut Bruegel. Pour un pays dont la dette est d’environ 95 % du PIB, comme la France, l’effort structurel devrait ainsi être de 0,7 point de PIB par an, un peu plus fort que le montant de 0,5 point de PIB actuellement retenu dans les recommandations du Conseil aux pays en situation de déficit excessif « à titre de référence ».

Pour les pays dont la dette est égale ou légèrement supérieure à 60 % du PIB mais dont le déficit est supérieur à 3 % du PIB, un effort structurel minimal, par exemple 0,25 point de PIB par an, pourrait être exigé.

Cet objectif d’effort structurel devrait être inscrit dans les lois de programmation pluriannuelles des finances publiques ; son respect devrait être vérifié par l’institution budgétaire indépendante nationale, en retenant la même croissance potentielle que la loi de programmation ; son dépassement une année donnée devrait donner lieu à un effort plus important, à hauteur de ce dépassement, l’année suivante.

G)   Conclusion

La France a déjà proposé, dans les instances européennes de concertation sur les politiques budgétaires, de mettre en avant l’effort structurel comme indicateur de référence. Ce concept a d’ailleurs été créé au sein de la direction de la prévision et de l’analyse économique, qui a ensuite fusionné avec la direction générale du trésor, et a d’abord été utilisé en France[5].

Le TSCG a toutefois retenu le solde structurel parce que l’Allemagne l’avait elle-même retenu dans sa réforme constitutionnelle de 2009 instaurant un « frein à la dette ». L’effort structurel a ainsi été relégué au dernier rang des indicateurs de suivi de la situation budgétaire et n’est examiné que si les objectifs de solde effectif et de solde structurel ne sont pas respectés.

Cet indicateur est pourtant plus compréhensible, plus contrôlable et plus pertinent que le solde structurel. Il serait donc souhaitable que la France encourage le président de l’Euro-groupe à suivre cette voie de réforme du pacte de stabilité et de croissance.

 

[1] Cet objectif d’inflation concerne les prix à la consommation alors que, pour réduire le ratio dépenses / PIB à moyen terme, il faut que la croissance des dépenses en valeur soit inférieure à la croissance potentielle en volume majorée de la croissance du prix du PIB. Toutefois, on peut considérer que les évolutions des prix du PIB et de la consommation sont identiques à moyen terme. C’est d’ailleurs l’hypothèse retenue généralement dans les prévisions à plus d’un an.

[2] Le coefficient de 55 % correspond au poids des dépenses publiques dans le PIB en France et permet de passer d’un pourcentage des dépenses à un pourcentage du PIB.

[3] Symétriquement, des mesures nouvelles de baisse des prélèvements obligatoires ne peuvent être mises en œuvre que si elles sont compensées par une progression des dépenses inférieure à la croissance potentielle.

[4] Les dépenses d’investissement sont très variables d’une année à l’autre dans les petits pays ; les dépenses d’indemnisation du chômage ont une nature largement conjoncturelle ; les variations des charges d’intérêt peuvent résulter de taux d’intérêt « anormalement » faibles ou élevés et ne sont pas pilotables.

[5] Les efforts structurels réalisés par la France ont néanmoins été limités, parfois même négatifs.

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